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sans ajouter un mot. Je l’entendis s’éloigner ; à peine fut-elle partie, que j’eus, je crois, une attaque de nerfs. Je perdis connaissance. Ainsi finit cette scène. »


Cette crise détermine une révolution dans l’existence de Jane Eyre. Elle tombe malade, puis elle arrive à ce degré d’impatience où il devient impossible aux natures les plus timides et les plus douces d’endurer un moment de plus les injustices de la tyrannie, où la révolte devient une nécessité machinale de l’organisme qui éclate sous la pression comme un ressort trop tendu. Un jour, à un reproche inique de Mme Reed, Jane répond instinctivement : « Que dirait l’oncle Reed, s’il était vivant ? Mon oncle Reed est au ciel, comme mon père et ma mère. Ils savent que vous m’enfermez et que vous voulez me faire mourir. » Jane est pour Mme Reed un remords incarné. Cette femme ne peut plus supporter sa présence, et la place dans une institution de charité fondée pour l’éducation des orphelines.

Je passe sur la vie de Jane dans l’école de Lowood. Malgré le triste régime de la maison, la sévérité des règles, le despotisme arbitraire de certaines maîtresses et de certains fondateurs, les huit années que Jane demeure dans cette espèce de cloître sont une ère de bonheur comparées à son ancienne existence. Elle reçoit une excellente éducation, s’applique à l’étude avec amour, et devient maîtresse elle-même ; mais, toutes ses amies ayant quitté Lowood, elle finit par se fatiguer de cette existence uniforme. Elle se sent prisonnière dans le cercle de montagnes qui entoure Lowood, et dont elle n’a jamais franchi les cimes. Elle rêve au monde immense qui s’étend et s’agite au-delà de cette étroite enceinte. Une voix s’élève en elle qui demande la liberté, ou plutôt un changement de servitude. Or, voici comment Jane raisonne et conduit l’accomplissement de ce désir. Que veut-elle ? Une nouvelle place, dans un nouveau milieu, parmi des figures nouvelles. Comment obtenir des places ? En s’adressant à des amis ? Jane n’a point d’amis. En insérant un avis dans le journal du comté ? Chose pensée, chose faite. Elle demande une place de gouvernante, et l’Herald du lieu publie prosaïquement l’annonce suivante : « Une jeune dame accoutumée à faire des éducations désirerait entrer, en qualité d’institutrice, dans une famille dont les enfans ne dépasseraient pas l’âge de quatorze ans. Elle peut enseigner les branches ordinaires d’une bonne éducation anglaise, avec le français, le dessin et la musique. S’adresser à J. E., poste restante. Lowton. — Shire. » Quelques jours après, avec quelle émotion et quelle curiosité rêveuse Jane trouve à la poste et lit la lettre suivante : « Si J. E., qui a publié un avis dans l’Herald de jeudi dernier possède les aptitudes mentionnées, et si elle peut donner des renseignemens suffisans sur son caractère et sa capacité, on lui offre l’éducation d’une enfant de moins de dix ans, avec trente livres