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avaient ouvert une voie nouvelle et même trop large aux capitaux dormans. Le moment était attendu où ils trouveraient là un placement certain. Avec un peu plus de prévoyance, les directeurs de la Banque auraient pu voir arriver de loin ce moment critique, et peut-être qu’avec un peu d’attention et de vigilance, ils en auraient en partie détourné l’effet ; mais l’attention et la vigilance ne sont pas le partage ordinaire des établissemens privilégiés. Trop heureuse de l’accroissement continu de ses escomptes, qui lui présageait une année fructueuse et des dividendes superbes, la Banque ne regarda pas au-delà et poursuivit sa marché, sans s’inquiéter de l’orage qui se préparait dans le lointain. Bientôt les versemens dans les compagnies de chemins de fer commencèrent à s’effectuer, et, vers le milieu de l’année, le retrait des fonds versés à la Banque devint sensible. Le solde des espèces, qui s’était maintenu, à la fin du deuxième trimestre, au chiffre de 202,894,000 f., tomba, à la fin du troisième, à 174,469,000. A l’expiration de l’année, il n’était plus que de 71,040,200 fr., ce qui faisait une décroissance de plus de 131 millions en six mois. Voici, au surplus, le tableau des diminutions successives de l’encaisse, tel qu’il est présenté dans le rapport même du gouverneur.


Dans le mois de juillet, les encaisses ont diminué de 17,538,000 fr.
En août, de 2,904,000
En septembre, de 27,211,000
En octobre, de 53,164,000
En novembre, de 43,235,000
En décembre, de 18,191,000
Et enfin du 1er au 14 janvier 1847, de 10,604,000
TOTAL 172,847,000 fr.

Telle était donc la situation de la Banque à l’expiration de l’exercice 1846 et au début de l’année 1847 ; situation tellement fausse, tellement critique, que pour tout établissement non privilégié elle eût infailliblement abouti à une chute complète.

Que fit la Banque pour en sortir ? Selon l’expression des censeurs, des mesures de haute prévoyance furent jugées nécessaires, ce qui veut dire qu’on eut recours aux expédiens. La Banque acheta d’abord du trésor, moyennant une prime, 15 millions de pièces démonétisées (de 15 et de 30 sous), restées en dépôt dans ses caisses, et qu’elle fit affiner pour les convertir en espèces courantes ; elle se procura, en outre, sur la place et en province, 4 ou 5 millions de matières d’or et d’argent ; elle fit enfin aux capitalistes anglais un emprunt de 25 millions, dont le produit lui arriva sous la forme de lingots d’argent et de piastres, qu’elle fit immédiatement frapper à la Monnaie de Paris : expédiens misérables, assez clairement marqués au coin de l’imprévoyance et du