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cette situation anormale que ne l’ont fait les censeurs mêmes de la Banque dans leur rapport de 1847. « Depuis quelque temps, disent-ils, on reprochait à la Banque de laisser improductifs des capitaux considérables, et de faire un usage trop modéré de l’immense crédit que lui avaient fait acquérir la sagesse, l’ordre et la régularité de ses opérations. On ne lui tenait pas compte des ressources extraordinaires que nécessitait le développement successif qui caractérise sa marche et celle de ses comptoirs depuis plusieurs années. On semblait ignorer que les sommes considérables renfermées dans les caves et caisses de la Banque appartenaient, en grande partie, aux comptes courans du public et principalement à celui du trésor ; qu’elle n’en était que la gardienne, et que ses devoirs lui faisaient une loi de surveiller et conserver ce dépôt qui lui était confié, et que des circonstances fortuites et indépendantes de sa volonté pouvaient lui faire retirer inopinément. Ces prévisions, qui avaient frappé l’esprit de vos administrateurs, se sont malheureusement réalisées. » Il est impossible de mettre avec plus de précision le doigt sur la plaie, de mieux signaler l’abus et d’en faire apercevoir plus clairement les conséquences. Seulement les censeurs étaient ici trop modestes : ce n’était pas une grande partie, c’était la totalité de l’encaisse de la Banque qui se composait de fonds étrangers ; tous sujets à être retirés au premier jour.

Si l’on y prend garde, il y avait là un double mal : d’une part, une masse considérable de capitaux qui demeurait stérile, et de l’autre, malgré l’exagération de cette réserve, le danger imminent d’un découvert. Certes, ils avaient bien raison ceux qui se plaignaient de voir tant de fonds dormir improductifs, tandis que le commerce aurait trouvé tant d’avantages à les utiliser ; mais la Banque n’avait pas tort non plus lorsqu’elle prétendait ne pouvoir les employer sans péril. Peut-être même aurait-elle dû tenir un peu plus de compte qu’elle ne l’a fait de cette prévision trop légitime. C’est qu’en effet le privilège exclusif accordé à un établissement unique avait créé une situation fausse, où il n’y avait qu’à choisir entre deux maux, sans pouvoir même éviter entièrement ni l’un ni l’autre, ou de laisser une masse énorme de capitaux sans emploi, ou de courir tête baissée vers les désastres. Supposez, au contraire, qu’il eût été permis d’établir une seconde banque, opérant de la même manière que l’autre : le nouvel établissement, venant composer son fonds social précisément d’une partie de ces capitaux inoccupés, les aurait prêtés au commerce, dont il aurait augmenté d’autant les ressources, et comme cette fois ils n’auraient pas été sujets à rappel, puisqu’ils auraient été prêtés au nom et pour le compte de leurs véritables propriétaires, tout danger d’une crise aurait immédiatement disparu.

Dans la position où la Banque s’était mise, ce qui devait arriver arriva. Déjà les projets de chemins de fer élaborés depuis long-temps