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parmi les artistes. Non, ce n’est point dans la dimension de la toile et dans la nature du sujet que réside la dignité de l’art, elle est toute dans le style imprimé à l’œuvre. Le goût si sûr des anciens trouvait autant de majesté divine, autant de diligence et de beauté surnaturelle[1] dans une statuette de Jupiter par Polyclète que dans le colossal Jupiter tonnant de Phidias. Une statuette d’Hercule, chef-d’œuvre de Lysippe, partageait avec les œuvres d’Aristote l’honneur de reposer sous le chevet d’Alexandre. L’art des pierres fines de Pyrgotelès, le graveur favori du héros macédonien, l’art des pierres de Dioscorides et d’Aspasius[2] n’est-il pas le même art que celui de la frise du Parthénon ? La moindre toile de Raphaël, du Poussin, de Le Sueur, de Rembrandt, les petits tableaux de Terburg et de Metzu ne sont-ils pas autrement grands que les vastes machines des Carraches et du Tintoret, que ces toiles immenses où Le Brun, abusant d’une certaine audace de composition, d’une majesté naturelle de style, a superbement délayé Quinte-Curce dans les flots de sa mauvaise couleur ? En ses petits émaux enfin, Petitot n’est-il pas grand par les mêmes qualités qui font les maîtres ?

Certes, ce que nous représentait Léopold était vieux comme le soleil. Les types pittoresques des populations agrestes de l’Italie avaient souvent fourni des modèles à nos peintres ; mais généralement ce genre avait été traité avec négligence ou maladroitement idéalisé. Schnetz seul, le dernier des Romains, retiré comme Robert dans cette sainte Italie, l’avait reproduite avec la simplicité puissante de sa belle nature. D’autres peintres, et des plus habiles, se sont essayés depuis dans ce même genre ; mais leurs pâles productions n’ont servi qu’à prouver combien Léopold est un grand artiste. Un des défauts de certains peintres de notre temps est de prendre leurs études pour des tableaux. Il a été donné à Raphaël seul de faire autant de tableaux de ses études. Pour écrire et pour peindre avec génie, il faut penser avec génie ; pour ne produire qu’avec talent, il suffit d’une certaine dose d’idées, de sens et de goût.

Du milieu de cette foule sort glorieusement l’illustre Ingres, qui, par son exemple, avait enseigné à Robert la volonté et la tenue dans le talent, le dédain de la mode comme celui de l’à-peu-près et du genre bel-esprit qui cherche à envahir notre goût national. Robert professait

  1. Expression du Poussin.
  2. Pyrgotelès, le seul graveur qui eût le droit de reproduire les traits d’Alexandre-le-Grand ; Dioscorides d’Ægée, en Asie mineure, le plus célèbre graveur du siècle d’Auguste ; Aspasius, qui fleurit dans le second siècle après Jésus-Christ. La Bibliothèque nationale de France, les musées de Naples et de Vienne, les cabinets de M. Roger à Paris, de M. Currie à Rome, possèdent de belles pierres de ces grands artistes. M. Currie, qui fait les honneurs de sa collection avec une grace et un savoir parfaits, a le chef-d’œuvre connu de Dioscorides, pierre vraiment antique, provenant du célèbre cabinet Poniatowski, où tant d’ouvrages modernes avaient usurpé les honneurs de l’antiquité.