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été à plusieurs reprises l’objet de pourparlers entre le ministre français et lord Granville, ambassadeur à Paris. Les agens des deux nations à Athènes avaient été mis en mesure, par les instructions de leurs cours, de tenir sur ce sujet à peu près le même langage. Il n’a jamais été dit ni même soupçonné que notre ministre près le roi Othon eût outrepassé, en quoi que ce fût, la mesure gardée par son collègue d’Angleterre. Voici cependant comment des démarches si simples furent représentées à Vienne.


« Vienne, le 7 décembre 1835.

« MONSIEUR LE DUC,

« A la suite d’une conversation sur les affaires de la Grèce, dans laquelle M. de Metternich m’a répété à peu près ce que j’ai eu l’honneur de vous mander n° 4, il m’a brusquement adressé la question suivante. — Serait-il vrai que le duc de Broglie eût formé le projet d’imposer une constitution à la Grèce, et qu’il mît à ce prix la délivrance du dernier tiers de l’emprunt ? — Je n’ai pas hésité à répondre que je ne croyais pas un mot de ce projet attribué à votre excellence, ajoutant néanmoins que vous étiez las de voir jeter notre argent dans l’eau, et qu’avant d’en donner encore, vous demanderiez quelque garantie quant à l’emploi qui en serait fait. M. de Metternich m’a interrompu en s’écriant que rien n’était plus raisonnable, mais que, suivant ses correspondances, il s’agissait de toute autre chose ; qu’à la vérité, il pouvait bien encore se trouver un mensonge au fond de cette affaire, et que ce serait alors le comble de la perfidie.

« Je me suis bien douté que lord Palmerston allait être mis en jeu, et en effet, sans trop se faire prier pour m’édifier sur la source de ses informations, M. de Metternich a ouvert un carton et en a tiré une très volumineuse dépêche, me disant : Écoutez ceci ; ce n’est point Prokesch qui m’écrit, c’est un ministre bavarois.

Il a lu : — Lord Palmerston écrit à M. Lyons : Pressez le gouvernement grec d’envoyer un ministre à Paris pour y déjouer les intrigues de Coletti. Cet homme a inspiré à M. de Broglie la malheureuse idée de rendre la délivrance du dernier tiers de l’emprunt dépendante de l’établissement d’une constitution en Grèce et du renvoi des troupes bavaroises[1]

« Après avoir achevé sa lecture, le prince Metternich m’a demandé ce que je pensais du procédé. — Ceci a véritablement assez mauvaise mine, ai-je dit à M. de Metternich ; mais je ne chercherai pas à l’expliquer, parce qu’il faut aimer ses amis avec leurs défauts et ne pas trop compter avec eux, de peur de ne pas trouver son compte. — Quand il serait vrai que lord Palmerston aime à nous faire de petites malices, il n’en est pas moins notre ami, et il faut qu’il reste tel pour notre bien et celui de l’Europe. Je suis même persuadé que, si je remettais en vos mains une paille qui représentât notre alliance avec l’Angleterre, vous hésiteriez à la briser. — Vous avez raison, a repris M. de Metternich, je voudrais plutôt en faire une barre d’acier. Vous brouiller avec l’Angleterre ! ce serait

  1. Ici se trouve dans la pièce anglaise une longue démonstration tendant à prouver que la Grèce est pour bien long-temps encore dans l’impossibilité de supporter un régime constitutionnel.