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cette terre fertile, les grands travaux qu’on fut obligé d’exécuter firent sortir des miasmes qui frappèrent de mort la population des environs. Les villes de Cisterna, Norma, Sermonetta et Sezze furent presque entièrement dépeuplées ; mais, après la succession d’années qui s’est écoulée, elles ont repris plus d’importance qu’elles n’en avaient jamais eu, et actuellement leurs habitans portent sur la figure l’empreinte d’une santé parfaite, tandis qu’autrefois ce n’étaient que teints jaunes et livides. L’année dernière, mon frère et moi, avions déjà poussé une reconnaissance dans ces endroits peu connus des étrangers ; mais à deux nous étions trop peu pour prendre les dispositions propres à nous mettre tout-à-fait à l’abri, sinon du danger, du moins de la crainte. Cette dernière excursion a été beaucoup plus agréable. Un des amis de mon frère s’était associé à nous en quittant Rome, et Schnetz est venu nous retrouver à Cisterna, où nous avons fait un séjour. Ensuite, nous sommes partis tous quatre à pied pour nous engager dans les montagnes, nous arrêtant dans les villes que je vous ai nommées, et de plus à Piperno, Sonnino et Terracina, où nous nous sommes installés.

« On ne peut se faire une idée de la beauté des hommes et surtout des femmes de ces endroits. Schnetz ne revenait pas de sa surprise. Leur physionomie exprime ce qu’ils sentent avec une vivacité qui charme, et ils ont des traits nobles, grands et fins, avec un aspect de santé qui plaît. Quand je pense à nos braves et dignes Suisses, je suis fâché pour eux et pour moi de la comparaison. Je dis pour moi, car, si je ne trouvais pas cette différence, il y a long-temps que je serais dans nos montagnes. Je n’aime pas du tout les Italiens des villes ; mais je vous assure que, dans les montagnes, ils ont quelque chose de tout-à-fait attrayant. Ils ont la naïveté de gens qui ne savent rien ; mais cette naïveté est accompagnée d’un esprit naturel très prononcé et d’une imagination surprenante, ce qui rend leur commerce assez amusant. Avec cela, on découvre en eux (surtout parmi les femmes, qui généralement sont très scrupuleusement attachées à leurs maris) un mélange de grandeur d’ame et de qualités rares, et puis de superstitions outrées alliées à des caprices qui peuvent les rendre méchans sans savoir pourquoi. Ce mélange, qui peut plaire d’abord, ne satisferait pas à la longue. Quoi qu’il en soit, je me persuade qu’un bon gouvernement en ferait de bons sujets. »

Léopold avait, par amour de l’art, bravé les exhalaisons des marais Pontins ; il en revint un peu malade. Rétabli au mois d’octobre, il écrivait à son ami Navez : « J’ai été fort long-temps peu bien, sans être cependant forcé de garder le lit. C’est par des soins convenables que j’ai échappé à une maladie réelle, et, en cette occasion, j’ai prouvé ce qu’on m’a dit souvent, à savoir, que j’ai manqué ma vocation, et que j’aurais dû me faire médecin. Schnetz, qui n’a ni mon tact en cela, ni ma pratique,