Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/432

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Peu à peu, il s’accoutumait, une fois assuré de l’appui de la France et de l’Angleterre, à l’idée de résister, le cas échéant, aux prétentions de la Russie. Nous ne ferons point de conjectures. La correspondance de l’ambassade de France à Vienne contient une foule de témoignages des velléités nouvelles que laissait entrevoir un cabinet jusqu’alors si circonspect. Afin de ne point multiplier les citations, nous donnerons un seul extrait d’une dépêche où l’ambassadeur de France à Vienne, énumérant les phases diverses que la question d’Orient avait déjà traversées à la fin de 1840, rappelait en ces termes l’attitude que le cabinet de Vienne avait prise au début même de cette affaire.

« Vienne, 1er décembre 1840.


« MONSIEUR LE MINISTRE,

« … Au début de l’affaire d’Orient (mai 1839), M. de Metternich s’est uni à nous, de très bonne foi, contre la Russie. Il a suivi, avec plus de résolution que ne le permettait sa circonspection habituelle, une politique indépendante, et, pour continuer dans les mêmes voies, il ne nous demandait que de rester unis à l’Angleterre. Quand notre dissentiment avec cette puissance a éclaté, il n’a pas hésité à me déclarer qu’il se rangeait du côté de l’Angleterre… Dans tous les cas d’ailleurs, on ne pouvait raisonnablement espérer que l’Autriche fit face à la fois à la Russie et à l’Angleterre. Prétendre la charger d’un tel rôle, c’eût été méconnaître et les forces réelles de l’empire et l’état de son gouvernement, tel qu’il se comporte aujourd’hui. Il ne serait donc pas équitable de garder rancune à M. de Metternich pour son adhésion au traité de Londres ; il l’a donnée avec regret, après de longues hésitations, et quand plusieurs tentatives de conciliation, proposées par lui, avaient été rejetées ou négligées par nous. »

Ainsi les éventualités possibles de la question d’Orient avaient triomphé des répugnances premières du cabinet autrichien, et l’avaient fait se départir d’une réserve jusqu’alors systématique. A son tour, l’empereur d’Autriche venait lui-même, pour des motifs moins désintéressés que le roi Guillaume, essayer s’il ne lui serait pas possible de s’entendre avec ce gouvernement de juillet, qui lui avait d’abord causé autant d’éloignement que d’effroi. Les inquiètes prévisions de son prudent conseiller s’étaient tournées d’un autre côté. M. de Metternich allait préparer sourdement contre la Russie une de ces campagnes pacifiques et savantes, pleines de ruses et de détours, comme il en avait déjà tant mené à bien, sinon à la plus grande gloire, du moins au plus clair profit de l’antique monarchie autrichienne. L’avènement du ministère du 12 mai, l’arrivée au pouvoir du président du cabinet du 1er mars, ne parurent pas, au moins ostensiblement, changer rien aux vues qu’il avait laissé deviner plutôt qu’il ne les avait énoncées. L’intervention efficace par laquelle, après la bataille de Nézib, la France avait arrêté la marche victorieuse de l’armée égyptienne sur Constantinople avait encore augmenté sa confiance dans notre influence en Orient. Le succès de la médiation française dans les difficultés survenues entre le roi de