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nature ne peut pas servir comme elle le fait pour un sujet calme. Ensuite, les ajustemens que j’exécute ordinairement sur le modèle ont presque été faits d’idée (je n’ai pas de mannequin) ; et moi, qui suis toujours timide et qui ne sais pas d’avance ce que je dois faire, ou plutôt qui ne puis exécuter sur-le-champ et du premier coup ce que je sens, ce tableau, je puis dire, m’a rendu malheureux, et bien souvent j’ai eu envie de le crever. Si je ne l’ai pas fait, j’ai donné la meilleure preuve qu’on puisse donner de courage et de persévérance. Je me consolerais de toutes les peines qu’il m’a causées, si j’en étais satisfait. » Le tableau fini, il dit au même : « … Je t’en prie, quand tu m’écriras, parle-moi de mes tableaux ; critique-moi vertement, si tu trouves que ce soit nécessaire. On me dit généralement que je suis tombé dans le sec et que je fais de l’allemand. »

Toujours plein de scrupules, le peintre n’avait rien donné au hasard ; il avait tout combiné pour faire ressortir la grace abandonnée à la fois et majestueuse de cette race grecque de l’Italie méridionale ; mais aussi, à force de s’étudier à écarter de la scène tout ce qui pouvait en altérer le caractère gracieux et grandiose, il l’a frappée d’une sorte de monotonie. A la rigueur, c’est bien là l’épisode principal de la fête ; ce sont bien ces montagnes fortunées que baigne la mer et que couronnent au loin des terrasses, des villa, des couvens et le Vésuve, ce roi de tout paysage napolitain ; mais les personnages posent plutôt qu’ils n’agissent, l’épisode est trop restreint pour le titre du tableau. En un mot, ce n’est point la foule, ce n’est point cette joie immense à laquelle semble prendre part la nature entière, et qui emporte une population tumultueuse, toujours dominée par la sensation du moment, et incapable de dépenser la vie sans l’agiter. Toutefois, avec un peu plus de sévérité dans le dessin, un peu plus de force de modelé dans les têtes et dans les mains, cette composition s’élèverait à la dignité de l’antique. En vain les critiques de la nouvelle école prétendirent-ils que ce n’était qu’un froid bas-relief : Robert devait, en 1831, leur donner un démenti par le succès universel d’une œuvre écrite dans le même style, mais plus puissante encore et d’une grandeur vraiment épique : l’Arrivée des moissonneurs dans les marais Pontins. Afin de se préparer à l’exécution de ce tableau, il fit un certain séjour dans ces marais si redoutés pour les émanations fiévreuses qu’ils exhalent.

« La peur que l’on a généralement de voir en détail les marais Pontins est exagérée, écrit-il le 10 août 1829 à M. Marcotte. D’abord, le mauvais air ne commence en réalité qu’à la fin de juillet ; ensuite, il n’est pas ce qu’il a été, ou bien tous ceux qui en ont parlé autrefois ont dit beaucoup de choses ridicules. Ce qu’il y a de positif, c’est qu’une amélioration de l’air se remarque parfaitement dans les villes et les villages voisins. Lorsque Pie VI eut la très bonne idée d’assainir une partie de