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entrelacés de feuillages, de fruits et de fleurs, où pendent des amulettes, des chapelets, des images de la Vierge et des saints. Les fronts sont couronnés de pampres, de feuilles de figuier, de branches de citronnier chargées de leurs fruits. Des bouquets de genêt et de lavande verdissent les roues du char, et le joug des tranquilles animaux qui le traînent porte un trophée de branchages et de blé en herbe. Tout est joie, tout est fête et tumulte. La marche est ouverte par deux enfans dont le plus âgé frappe en cadence une crécelle de marteaux[1]. Les chants, le bruit des tambourins et des castagnettes, répondent à cet étrange appel. De belles jeunes filles qui dansent forment le cortége du char, et la foule, une foule immense, l’entoure ou le suit à pied, à cheval, à âne, en cabriolets à berceaux d’osier (calessi) ornés aussi de bouquets et de verdure. Une fille du pays tiendrait à déshonneur de ne point figurer à la fête, et nous ne sommes pas loin de l’époque où plusieurs faisaient prendre par contrat à leur futur mari l’engagement de les y conduire[2].

Ce fut ce détail de mœurs qui fournit à Robert le sujet du premier des quatre tableaux destinés à symboliser les saisons : il s’agissait encore de prendre sur le fait la nature populaire, mais il fallut beaucoup d’efforts à l’artiste pour la saisir. Une lettre de Léopold à M. Navez (Rome, 1er octobre 1827) en contient l’aveu. « Mon tableau n’est pas fini encore, et même je prévois qu’il ne pourra partir que dans un mois. C’est ma plus grande page, puisqu’il a près de sept pieds, et, comme le sujet est compliqué, il m’a pris plus de temps que je n’avais pensé d’abord ; mais tout a une fin dans ce monde, et j’espère qu’il en sera de même de mon éternel tableau. Il est vrai que je n’y ai pas travaillé de suite, et que j’ai fait, depuis que je l’ai commencé, un assez grand nombre de petits tableaux qui avaient leur destination. Si j’avais su le mal qu’il me donnerait, bien certainement je ne l’aurais pas commencé. Toutes les figures ont des mouvemens violens ; par conséquent, la

  1. Cet étrange instrument de percussion, formé de trois marteaux ou maillets mobiles, s’ouvrant en éventail, et maintenus par une lame de métal, est une particularité toute napolitaine, digne de la première enfance de l’art, et destinée à produire le bruit rhythmé qui, dans ces âges primitifs, constituait en grande partie toute la musique. Pour le peuple de Naples, plus le bruit est fort, plus il est beau : cette crécelle informe est donc son fait, et la musique qui en résulte rappelle merveilleusement celle des cymbales et des crotales que l’antiquité met aux mains des satyres et des bacchantes.
  2. A Venise, il y a aujourd’hui encore des femmes qui stipulent par article formel que leur mari leur donnera chaque année une loge pour l’ouverture du théâtre de la Fenice. Les contrats de l’Italie ont été de tout temps les confidens de traits de mœurs qui méritent d’être conservés. J’ai un contrat en original sous les yeux qui garantissait à l’épousée le droit de se choisir un sigisbé. Ce genre de contrat était fort commun ; l’occupation française en a fait cesser le scandale. L’année dernière, une héritière génoise, épousant un noble milanais, fit stipuler en son contrat de mariage que son mari n’aurait pas le droit de la conduire chez l’Autrichien vice-roi du royaume lombardo-vénitien.