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« Je suis installé et je me trouve beaucoup mieux, sous tous les rapports, que je n’aurais osé l’espérer. Il faut cependant, avant de vous entretenir de mes relations, que je vous avoue, très cher monsieur, que personne plus que moi n’aime le calme, la tranquillité et le repos, et que les révolutions, généralement parlant, me paraissent entraîner des suites si funestes, les avantages qu’on s’en promet, sans être tout-à-fait illusoires, sont accompagnés de tant de désordres, de troubles, de haines et de misères, que véritablement il faut ne pas raisonner pour y prêter la main, surtout en pays étranger. Il y a une masse aveugle qui veut tout réformer. Le monde n’est pas encore assez éclairé pour recevoir ces idées de liberté qui, portées trop loin, ne sont plus comprises que d’un petit nombre… En France, on aura été bien étonné de la promptitude avec laquelle un petit corps d’Autrichiens a dissipé ces corps nombreux de libéraux qui s’étaient armés et qui prétendaient soutenir leurs droits. La raison en est simple. La plus grande partie du peuple n’était pas assez persuadée de la réalité des avantages qu’on voulait lui procurer ; ensuite, ce qu’il y a de très malheureux pour les Italiens, c’est qu’ils se défient toujours les uns des autres. On assure aujourd’hui que les principales têtes, les grands meneurs, ont trahi : je suis persuadé qu’il n’en est rien ; mais il n’en faut pas davantage pour jeter le découragement dans les cœurs les plus disposés à s’engager dans ces luttes.

Quelle conduite la France tiendra-t-elle ? Il est certain à présent que la non-intervention est rompue par les Autrichiens, puisqu’ils marchent sur Imola. Bologne va être cernée. Qu’en arrivera-t-il ? Chacun se le demande ici. Je suis bien aise d’être à Florence, car tous les habitans aiment trop la tranquillité et leur grand-duc pour remuer.

… « Nous avons eu quelque difficulté à rester ici ; mais c’était seulement parce que nous venions de Rome, et que tout ce qui en arrivait était, par mesure de sûreté, renvoyé indistinctement. Nous avions traversé les insurgés, c’était encore un motif d’exclusion ; mais, grace à nos bonnes connaissances ici, nous sommes tout-à-fait installés. Il nous eût été d’autant plus désagréable de partir, que mes compagnons, plus que moi, tiennent plutôt à l’ancien régime. Tout en reconnaissant des abus, ils détestent les révolutions. Moi, je les trouve bonnes, quand c’est la plus grande masse qui les fait, quand personne n’est sacrifié, et qu’elles arrivent à ce point de satisfaire tout le monde, ou à peu près.

« J’ai commencé à travailler. Je fais un tableau pour ce bon M. Ganay, qui est ici chargé d’affaires de France. Je l’avais vu souvent à Rome, et j’ai eu beaucoup de plaisir à le trouver ici. Je le vois très souvent. Je vois aussi extrêmement souvent les Bonaparte. Je connaissais particulièrement ce pauvre prince Napoléon. Sa femme et sa belle-mère, qui sont ici, et qui naturellement sont très affligées, m’engagent