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De temps à autre, il voyait le vieux Thévenin, directeur de l’académie de France, qui laissait flotter au gré du hasard les rênes de sa direction, et sous lequel les élèves en prenaient à leur aise. Il visita plus souvent le valétudinaire Guérin, qui, par sa tenue, par son esprit fin et délicat, sut relever l’école de la décadence. Guérin prit en goût sa personne et son talent, et lui commanda plusieurs tableaux. Vint ensuite la direction d’Horace Vernet, qui ouvrit carrière à l’activité des travaux en même temps qu’à l’activité des plaisirs, et fut une longue fête pour la ville et pour les élèves. Alors le fusil de chasse fut toujours à côté de la palette et du pinceau, et le salon de l’académie de France, où Mme et Mlle Vernet faisaient les honneurs, devint un des plus brillans de Rome : — Mlle Vernet, depuis Mme Delaroche, femme ravissante et accomplie, enlevée avant le temps, laissant derrière elle le parfum de toutes les vertus et de toutes les graces. Ces deux hommes, Horace et Léopold, étaient trop dissemblables pour se goûter mutuellement : le premier, esprit quelque peu sarcastique, peintre charmant et improvisateur, qui mettait la bride sur le cou à son pinceau comme Mme de Sévigné à sa plume, et sautait d’un sujet à l’autre, selon que le vent du caprice donnait le vol à sa mobile imagination ; le second, génie voué avant tout à la synthèse, pénible, timide, défiant, qui traçait lourdement son sillon, et à qui l’éclat du salon académique faisait peur[1]. Quand Mme Récamier passa à Rome l’hiver de 1824-1825, Robert la visita assez fréquemment ; mais, dès qu’elle fut partie, il ne hanta plus guère les salons, hormis celui de M. Snell et celui du ministre de Prusse, M. Bunsen, homme de beaucoup de lettres, et dont la conversation ouvrait une source féconde d’instruction à son esprit. Parmi les exceptions, on peut citer encore le comte de Forbin, qu’il vit souvent à Rome en 1829, et il parut de loin à loin chez l’ambassadeur de France, l’illustre Chateaubriand. Le comte de Ganay, qu’il retrouva chargé d’affaires à Florence, et son ancien camarade Constantin, le célèbre peintre en émail et sur porcelaine[2], étaient aussi parvenus à l’apprivoiser, à force de bienveillance et d’amitié. Mais c’est surtout à Venise que la sauvagerie de Robert, n’exceptant que M. Odier et M. Joyant, s’abandonna à tous ses caprices ; c’est ainsi qu’il refusa au comte de Ganay lui-même

  1. M. Gaullieur, dans une notice déjà citée, parle d’un grand repas durant lequel le spirituel Horace persifla sans relâche le pauvre Robert, qui, n’ayant d’esprit qu’au bas de l’escalier, ne sut que répondre. Il aurait pu ajouter qu’à ce propos un des convives dit à l’oreille de son voisin le mot de Molière sur La Fontaine : « Nos beaux esprits auront beau se trémousser, ils n’effaceront point le bonhomme. »
  2. Constantin, né à Genève, où il vit aujourd’hui dans la retraite, a produit en émail et surtout sur porcelaine, d’après les grands maîtres, de magnifiques ouvrages. Quelques-uns sont à la manufacture de Sèvres, le plus grand nombre a été acheté par le roi de Sardaigne, Charles-Albert, qui leur a assigné les honneurs d’une salle particulière au musée de Turin.