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époque, c’est l’harmonie qui s’établit entre son talent et l’Italie. La campagne romaine inculte, silencieuse et comme désolée, la sévère beauté des lignes de l’horizon, l’unité divine des vastes déserts du ciel, l’éclat prestigieux de l’atmosphère, préparent une émotion inconnue à qui arrive dans la ville de Rome, « cette Niobé des nations. » Robert, avec un sentiment pieux de la nature, un amour d’artiste qui embrassait et le paysage, et le ciel, et la création entière, s’était identifié avec ces beautés graves qui allaient à son ame mélancolique et l’emportaient dans tous les lointains de l’imagination. Il sentait un frémissement ineffable, qu’il exprime souvent dans ses premières lettres, à la vue de cette ville écrasée sous le poids de vingt siècles, et cependant si vivante, bien que tant de touristes n’y voient qu’un cadavre. Des deux Romes juxtaposées, également mortes toutes deux, la grande Rome du moyen-âge n’était pas la moins étonnante à ses yeux. Et quel cadre magnifique que cette splendide nature, ces marais Pontins, cet infini solennel de la campagne romaine pour ces grands ossemens du passé ! La magie aérienne qui enveloppe la ville de Naples, et son golfe, et ses environs, enthousiasmait Robert, tout en désespérant son pinceau, et plus d’une fois la population de ces beaux lieux lui fournit de magnifiques modèles : ainsi, après l’Improvisateur, le Retour du pèlerinage à la Madone de l’Arc ; toutefois il revenait plus volontiers à la population romaine.

En effet, le Romain, imposant dans sa décadence ; est encore le vieux Romain des temps historiques, et il offre une preuve éclatante, entre mille, de l’immutabilité des caractères originels des peuples. La dignité, chez lui, est de toutes les classes. Étranger à toute affectation, jamais pressé de montrer ce qu’il vaut, sérieux, fier, méditatif, presque triste, il semble chercher le mot de l’énigme assez obscure de ses destinées. Haut et superbe, il voit encore en nous le Gaulois ; dans l’homme du Nord, un barbare. Lui dont la ville est le grand hôpital des dynasties déchues, son premier sentiment envers l’étranger est l’attente du respect, presque le mépris. Le nil admirari d’Horace est encore, avec l’antique panem et circenses, sa devise éternelle. Tout lui est spectacle. Le Napolitain qui s’agite, qui court, qui danse, chante et crie sans cesse, et qui épuise tous les excès de la vie et du repos, est un spectacle pour l’étranger ; c’est l’étranger, au contraire, plébéien ou roi, qui est le spectacle du Romain. Et cependant semblable, en dépit de cette impérieuse nature, à ce lion qui a déposé sa royauté et se laisse conduire à la baguette d’un enfant, il laisse faire autour de lui, et ne se venge de ses maîtres que par je ne sais quel dédain superbe et nonchalant. A peine un instant, éveillé à la voix de Pie IX, a-t-il semblé vouloir reprendre sa place aux avant-postes du genre humain, et déjà le sort a désarmé son courage ; déjà le calme hautain d’une insouciance séculaire a remplacé sa gloire d’un moment.