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On fut frappé tout d’abord du voile de mélancolie profonde qui couvre l’ensemble de la peinture des Pêcheurs, et qui répand sur la scène une teinte d’exagération. Si l’on va au détail des figures, ce cachet dramatique de tristesse est bien plus marqué encore. Ce n’est pas, il est vrai, que les populations maritimes livrées à la pêche au long cours ne contractent, dans les terribles chances de leur métier, un caractère sérieux de résignation que le sentiment religieux vient fortifier encore : — Si tu veux apprendre à prier, va sur la mer, dit le proverbe breton ; — mais la conscience du danger s’affaiblit par l’habitude et ne laisse subsister, dans l’attitude de ces populations aventureuses, qu’une sorte de gravité tranquille et simple.

Contre un pan ruiné de muraille, près d’un cep glacé aux premiers souffles de l’hiver, et qui laisse tomber ses pampres flétris comme l’ame chancelante du peintre laisse tomber ses dernières espérances, on voit l’aïeule assise à distance, les yeux fixés vers la terre où va s’ouvrir sa tombe. Une jeune mère, comme frappée d’un pressentiment de mort, serre tristement son nouveau-né contre son sein. Un jeune homme relève des filets avec emphase, comme s’il portait la main à une épée. Il n’y a pas jusqu’à l’enfant qui tient le fanal qui n’ait quelque chose de solennel et de sombre, caractère aussi opposé à son âge qu’à l’action si simple qu’il représente. Il semble que le dégoût qui brisait le cœur de l’artiste ait passé à tous les acteurs de la scène. Chacun d’eux vit, agit, pense pour soi, est triste pour soi ; et comme si, à l’exemple du peintre, aucun ne voulût de consolation, aucun, à ce moment suprême du départ, ne s’abandonne à cette électricité d’un sentiment commun, à ce pathétique du geste qui reste encore aux muettes douleurs ; aucun, en un mot, ne cherche la main d’une mère, d’une épouse, d’une sœur, d’un ami. Or, ce rapprochement qu’on ne peut s’empêcher d’établir entre l’œuvre et la destinée de l’auteur a quelque chose de cruel qui gêne, qui déplace, qui gâte l’impression du spectateur. De toutes les formes de l’imagination, la peinture est déjà la plus réelle et la plus positive ; elle dira plus que l’artiste n’a voulu lui faire dire, si, à l’effet naturel qu’elle produit, vient se joindre encore une idée d’actuelle et vivante réalité. Ce n’est plus une représentation pittoresque, c’est une agonie véritable, et des régions de l’idéal vous retombez à plat sur le cœur saignant de l’artiste.

Que résulte-t-il en outre de ce défaut intime et radical de la composition ? En l’encombrant de détails, en la semant de figures dont chacune est un épisode, en la morcelant sous les changemens multipliés, l’artiste a détruit ce principe d’unité d’où émane la beauté de lignes, la simplicité homérique des Moissonneurs. La vieille mère et la jeune femme avaient été peintes dès la première époque où Léopold avait introduit des pêcheurs dans son tableau sans bannir tout-à-fait