Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/351

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

jours, fait descendre de leurs sauvages retraites, et qui, sous prétexte de défendre la capitale, en sont aujourd’hui les maîtres. Ces volontaires au chapeau pointu et au sayon de poil de chèvre reçoivent deux francs par jour ; ils épuisent le trésor et tiennent le gouvernement en échec. L’orgueil de la race et la soif de la domination, qui sont les traits principaux de leur caractère, ferment chez eux tout accès aux idées de conciliation. La pression qu’ils exercent sur le cabinet, de concert avec la populace, fait le vrai danger de la situation. C’est probablement à leur influence qu’il faut attribuer le revirement qui s’est produit dans le gouvernement de Palerme, lequel, après avoir atténué la vivacité de ses premières déclarations, semble reprendre une attitude plus obstinée. N’y aurait-il pas par hasard été poussé secrètement par quelque main intéressée à amener une nouvelle rupture, tout en ayant l’air de se prononcer ostensiblement pour un arrangement amiable ?

Quant au gouvernement de Naples, tout en suspendant les hostilités, il a protesté dès les premiers jours contre la violence qu’il prétendait subir. Il en a fait une question de dignité, bien que son honneur fût sauf et son droit respecté par l’amiral Baudin, lequel déclarait expressément n’intervenir qu’au nom de l’humanité. Nonobstant ses déclarations officielles, et peut-être même à cause de la forme assez vive qu’elles ont affectée, il est permis de croire pourtant que le gouvernement napolitain n’est point absolument éloigné de s’en rapporter à l’arbitrage de la France et de l’Angleterre. Il n’ignore pas que la continuation des hostilités, en exaspérant les Siciliens, rendrait plus que jamais problématique le rétablissement de l’autorité royale dans l’île. Des flots de sang répandus de part et d’autre ne serviraient qu’à raviver l’antipathie des deux races, et c’est au contraire en s’efforçant de les calmer qu’on peut espérer de conserver la Sicile au royaume de Naples. Ces observations ont été présentées avec beaucoup de force par M. de Rayneval dans ses notes au prince Cariati, et elles avaient d’autant plus de poids que, dans cette question de Sicile, la France, tout en couvrant de sa protection la liberté des Siciliens qui implorent un secours, doit cependant tenir compte de considérations de plus d’un genre. Le gouvernement napolitain le sait ; il sait qui de la France ou de l’Angleterre peut, en cette circonstance, donner, tant à Naples qu’à la Sicile, le conseil le plus désintéressé.

Ce conseil, à notre avis, ne saurait être douteux : larges concessions et garanties solides aux Siciliens, à la condition que la Sicile ne rompe pas le lien qui l’unit à la péninsule, tel est le seul parti praticable, le seul avantageux pour Naples à la fois et pour la Sicile. La Sicile, monarchie ou république, livrée à elle-même, serait toujours trop faible pour pouvoir se passer de protectorat, et la situation qu’elle occupe est trop précieuse pour que ce protectorat ne soit pas convoité par plus d’une puissance. Or, ce protectorat, il vaut encore mieux qu’il soit exercé par un état italien que par des étrangers. Un instant, on a pu croire que la maison de Savoie était appelée à recueillir l’héritage des Bourbons de Naples ; mais le roi de Piémont a jugé prudent de ne pas se mettre une nouvelle difficulté sur les bras. Il n’est donc plus question de cette combinaison, qui, entre autres difficultés, présentait, assure-t-on, celle de provoquer un casus belli de la part de la Russie. Il n’est pas probable qu’aucun autre prince italien veuille courir les mêmes chances : ce n’est pas le grand-duc de Toscane qui y pourrait songer. Si donc les Siciliens veulent rester Italiens, c’est encore avec