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de l’impôt sur la mouture et la franchise du port de Messine. Ces concessions devaient précéder sa marche sur Catane et Syracuse ; mais une explosion de fureur avait accueilli dans toute la Sicile la nouvelle des calamités de Messine. A Syracuse, le peuple soulevé s’était porté tumultueusement chez le commandant de la place, M. Lanzerotti, qu’on croyait disposé à un acte de faiblesse ou de trahison. La foule, peu satisfaite de ses explications, le traîne en prison, et, chemin faisant, le déchire en morceaux. Un sort semblable eût immanquablement attendu quiconque se serait prononcé pour la soumission. A Palerme, l’attitude menaçante du peuple n’eût pas permis au gouvernement de montrer la moindre hésitation, quand bien même celui-ci n’aurait vu de salut que dans un accommodement. Le mot de trahison, une seule fois prononcé, eût été l’arrêt de mort des chefs les plus populaires. Il fallait proclamer bien haut la guerre à outrance et continuer avec plus d’ardeur que jamais les apprêts d’une résistance désespérée. Le gouvernement, à court d’argent, suspendit provisoirement le paiement des billets appelés polices de banque, mesure qui atteignait un grand nombre de petites gens, et qui, en d’autres temps, aurait eu le plus mauvais effet. Le ministre de l’intérieur, Vito-d’Ondes-Reggio, partit pour organiser dans l’est une ligne de défense ; vingt mille piques furent fabriquées pour suppléer au défaut de fusils et armer les campagnards accourus de toutes parts à Palerme. Les âpres habitans des montagnes d’Alcamo et de Corleone descendaient, la carabine sur l’épaule, et venaient étaler, dans la rue de Tolède, leurs pittoresques costumes et leurs figures basanées sous lesquelles coule le sang maure. Il y en eut bientôt plus de huit mille ; ces bandes farouches, mêlées à la populace, étaient littéralement maîtresses de la ville, et, à défaut des Napolitains, elles auraient pu en faire quelque peu le sac pour leur propre compte.

Sous cette attitude fière et belliqueuse se cachaient pourtant bien des inquiétudes. Le gouvernement, tout en déclarant que la nation sicilienne succomberait jusqu’au dernier homme plutôt que de se rendre ou d’accepter un compromis avec Naples, ne se dissimulait pas que la ruine de tous les ports de l’île devenait inévitable, et que ce n’était qu’en sacrifiant tout le littoral et en se retirant dans les montagnes qu’on pouvait espérer de résister à l’oppression. Dans la population, qui avait compté trop exclusivement, comme nous l’avons dit, sur la protection de la France et de l’Angleterre, on murmurait hautement contre ces deux puissances et l’on portait contre elles des accusations amères. Certains agens fomentaient ces dispositions vis-à-vis de la France et donnaient à entendre que, si l’Angleterre n’intervenait pas en faveur des Siciliens, c’était pour ne point se mettre en hostilité trop directe avec nous ; livrée à ses seules inspirations, la politique britannique eût, sans nul doute, prévenu une aussi fâcheuse situation. La presse se faisait l’écho de ces bruits absurdes que fit tomber heureusement l’arrivée du paquebot l’Hellespont, chargé de deux mille fusils et de quatre cents barils de poudre. En même temps, on apprenait, par la corvette anglaise Sidon, qu’un armistice venait d’être obtenu du roi de Naples.

C’est M. l’amiral Baudin qui, à la nouvelle des désastres de Messine, avait pris l’initiative d’une démarche dont le premier objet devait être d’arrêter court la marche des Napolitains et de préserver les autres villes du littoral. D’Ischia, où le retenait le soin de sa santé, l’amiral écrivit immédiatement au gouvernement napolitain pour l’inviter, au nom de l’humanité, à souscrire un armistice et à