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désastres l’avait fait, pour un temps donné, l’homme du pays. Ballotté du pays au parti et du parti au pays, il hésitait trop, selon le point de vue particulier de la personne, cette hésitation pouvait avoir des motifs respectables ; elle était un malheur au point de vue de la raison d’état. On sait, à ne pas s’y tromper aujourd’hui, ce que veut la vraie France, la France intelligente, laborieuse, amie de l’ordre et de la liberté. Les premières délibérations des conseils-généraux des départemens ont répondu assez nettement aux prédications des banquets de la république rouge. Ne pas fournir à la France les garanties dont elle a besoin au milieu des commotions de l’époque, la laisser inquiète sur elle-même, c’était la livrer sans défense à toutes les fantasmagories qui peuvent séduire des imaginations désemparées. De là sans doute est née cette fameuse candidature à la présidence de la république, candidature bâtie sur un nom, et devenue, à ce qu’il paraît, si redoutable, que de bons esprits, pour la combattre, n’auraient pas mieux demandé que de rédiger tout exprès la constitution contre le candidat. Si ce candidat extraordinaire, sans titres personnels, et par la seule magie d’un souvenir aussi mal évoqué, peut cependant exercer une fascination trop active, nous le déclarons, aujourd’hui que la faute se répare, la faute en était au général Cavaignac. Le chef du pouvoir exécutif n’avait pas encore donné de lui-même une idée assez soutenue aux esprits sérieux, pour balancer dans les esprits naïfs des masses la puissante influence de la superstition du siècle. La superstition est de tous les âges ; elle loge toujours quelque part dans un coin du cœur de l’homme, et lui marquer sa place sans l’exterminer, c’est la victoire de la raison. La raison publique aurait eu meilleur marché qu’elle n’aura de la superstition napoléonienne, si elle avait eu depuis long-temps quelque sûre bannière à suivre, si cette bannière eût été portée haut, si elle eût rallié cette multitude dont vivent les états, cette multitude productive et sensée, qui s’ennuie bientôt du provisoire, qui soupire vite après le définitif, pourvu que le définitif soit tolérable.

Nous ne sommes point suspects de complaisance pour l’établissement improvisé dont la révolution de février a doté notre pays. Telle est cependant la loi des circonstances, que cette improvisation soit encore aujourd’hui ce qui ressemble le mieux au définitif, si l’on s’en accommode loyalement. Derrière chacune des constructions historiques que l’on pourrait imaginer à la place, il y a certainement un nouveau provisoire en permanence. Nous avons failli avoir la parodie des conventionnels de 93 ; le jour où nous aurions une parodie du consulat et de l’empire, ce serait signe qu’il faudrait recommencer la restauration. Le pays est las de recommencer toujours, et il n’aurait point cette velléité désespérée, si le dépositaire du pouvoir exécutif eût pris de meilleure heure cette résolution par laquelle il vient de s’honorer. Il est si facile, en France, au pouvoir exécutif de faire fonction d’autorité définitive. Ce n’est plus pourtant le moment ni de récriminer, ni de se décourager. Le général Cavaignac a brûlé ses vaisseaux, comme le lui conseillait M. de Tocqueville d’une voix si pénétrante ; il s’est montré franchement et sans réserve l’homme de la situation et de la majorité. La majorité, la république intelligente et conciliante, n’était pas représentée suffisamment dans un cabinet où la république étroite et exclusive avait au contraire gardé soigneusement ses postes. Le général Cavaignac, en appelant à lui M. Dufaure et M. Vivien, anciens ministres de la monarchie, a prouvé avec éclat qu’il n’y a plus ni républicains de la veille ni républicains du lendemain.