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celui de Paris, sont pourvus de lunettes d’une dimension suffisante, arrivèrent sur l’astre nouveau, baptisé du nom de Neptune, d’intéressantes observations. Disons, en passant, que la nouvelle planète se voit d’ailleurs avec les plus faibles instrumens.

Deux savans américains, un astronome et un géomètre, ne joignirent pas leurs éloges à ceux qui avaient accueilli partout les beaux calculs de notre compatriote. Jaloux de voir figurer leurs noms dans l’histoire de cette découverte, et pensant que le paradoxe était, pour arriver à leur but, le chemin le plus direct, ils déclarèrent que l’astre trouvé par M. Galle n’avait point de rapport avec la planète théorique. La coïncidence, disaient-ils, n’est que l’effet du hasard. « Heureux celui auquel arrive un tel hasard ! écrivait à M. Leverrier le président d’une des académies américaines en lui envoyant le diplôme de membre associé, de l’histoire du monde n’en fournit pas un autre. » Il n’y eut, au reste, parmi les savans qu’une voix sur cette affaire, qui ne souffrait même pas la discussion. Un astronome cependant, le directeur du plus célèbre observatoire de l’Union, prenant la chose au sérieux, se mit en devoir de réfuter les incrédules dans des termes tels et avec des raisons si concluantes, que M. Pierce, l’un des deux savans atteints par cette réfutation, se vit, pour ne pas compromettre sa réputation scientifique, dans la nécessité de revenir publiquement sur sa première opinion.

C’est ce paradoxe des deux astronomes américains qui, ramassé plus tard faute de mieux, servit de point de départ à des attaques qu’on ne répandit d’abord qu’à demi-voix, mais avec l’espoir que, murmurées ainsi à l’oreille, elles ne tarderaient pas à s’ébruiter. Nous fûmes nous mène bientôt dans le secret, et l’on nous invita, en compagnie de beaucoup d’adeptes, à voir porter la grande nouvelle devant l’Académie. Le bibliothécaire de l’Observatoire, chargé de cette importante mission, eut un début bien malheureux : « L’identité de la planète Neptune avec la planète Leverrier, dit-il, n’est plus admise par personne. » Au milieu du silencieux étonnement qui accueillit cette assertion, aussi gratuite que discourtoise, un des plus illustres physiciens de l’Académie, M. Biot, le doyen de la science, se hâta de prendre la parole : « Je croirais, dit-il, manquer à la dignité scientifique en même temps qu’à ma conscience d’honnête homme, si je ne protestais contre une semblable déclaration. Mes convictions à l’égard de la planète trouvée par M. Leverrier n’ont point varié, malgré les objections qui déjà m’ont été faites, et je prie M. Babinet, qui, avant d’affirmer une chose aussi grave, aurait au moins dû faire une enquête, de vouloir bien m’excepter du nombre des incrédules. » - « Je partage les sentimens et les convictions de M. Biot, » déclara à son tour M. Cauchy, le géomètre. « Je me joins à mes honorables confrères, » ajouta M. Faye, un des plus habiles astronomes de l’Observatoire. Ainsi, dès le principe, les trois seuls juges compétens de la question qui fussent en ce moment présens à la séance déclinèrent toute solidarité avec les opinions de M. Babinet. Ajoutons que ceux des savans étrangers qui connaissent aujourd’hui les assertions hasardées du bibliothécaire de l’Observatoire ne mettent pas moins d’empressement à protester.

Ce sont là, ce nous semble, des présomptions morales qui peuvent être d’un certain poids dans l’appréciation des faits. Il convient pourtant d’examiner les raisons scientifiques qui ont pu déterminer M. Babinet à produire si solennellement cette attaque. Les deux savans américains dont nous avons parlé avaient annoncé