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l’univers. » De même, après avoir soutenu que le dogme de l’immortalité de l’ame ébranle tous les fondemens de la certitude, ne revient-il pas à ce dogme quand il s’écrie : « L’ordre dans la société, si parfait qu’on le suppose, ne chassera jamais entièrement l’amertume et l’ennui ; le bonheur, en ce monde, est un idéal que nous sommes condamnés à poursuivre toujours, mais que l’antagonisme infranchissable de la nature et de l’esprit tient hors de notre portée. S’il est une continuation de la vie humaine dans un monde ultérieur, ou si l’équation suprême ne se réalise pour nous que par un retour au néant, c’est ce que j’ignore… Tout ce que je puis dire est que nous pensons plus loin qu’il ne nous est donné d’atteindre, et que la dernière formule à laquelle l’humanité vivante puisse parvenir, celle qui doit embrasser toutes les positions antérieures, est encore le premier terme d’une nouvelle et indescriptible harmonie. » On voit que, dans cette dernière phrase, l’immortalité de l’ame, niée d’abord ou du moins mise en doute comme impossible à démontrer, est annoncée brusquement en d’éloquentes paroles. L’auteur a d’abord fermé le ciel, mais, entraîné malgré lui, il ouvre tout à coup à l’ame désolée des perspectives lumineuses !

Que serait-ce si M. Proudhon ne revenait pas seulement à la philosophie véritable, et si, se rejetant en arrière, il allait aboutir au mysticisme ! Parler de mysticisme à propos d’un esprit si sec, cela ressemble à une plaisanterie, et pourtant c’est bien lui qui a remarqué, avec une joie inattendue, que nos chimistes contemporains retournent à la pierre philosophale et que nos astronomes sont en train de réhabiliter l’astrologie. Les astronomes et les chimistes se chargeront sans doute de rectifier ces étranges observations ; contentons-nous de signaler aux philosophes les fabuleuses paroles que voici : « J’ai certes moins d’inclination au merveilleux que bien des athées, mais je ne puis m’empêcher de penser que les histoires de miracles, de prédictions, de charmes, etc., ne sont que des récits défigurés d’effets extraordinaires produits par certaines forces latentes, ou, comme on disait autrefois, par des puissances occultes. Notre science est encore si brutale et si pleine de mauvaise foi ; nos docteurs montrent tant d’impertinence pour si peu de savoir, ils nient si impudemment les faits qui les gênent, afin de protéger les opinions qu’ils exploitent, que je me méfie de ces esprits forts, à l’égal des superstitieux. Oui, j’en suis convaincu, notre rationalisme grossier est l’inauguration d’une période qui, à force de science, deviendra vraiment prodigieuse ; l’univers, à mes yeux, n’est qu’un laboratoire de magie où il faut s’attendre à tout… » Ainsi ce farouche ennemi du mysticisme, ce terrible accusateur des « spiritualistes bigots, » est parfois un halluciné, et, dans ce laboratoire de magie qui s’appelle la création, il a bu les philtres qui procurent l’extase !

Nous n’en demandons pas tant à M. Proudhon ; il nous suffirait qu’il