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presque semblables, toute la théodicée de M. Proudhon ? et ne sommes-nous pas autorisé à dire, comme M. Thiers à propos des systèmes financiers de notre philosophe, que c’est là une des erreurs les plus bafouées des temps passés ?

M. Proudhon, je ne crains pas de le dire, est aveuglé par sa fausse logique. Infatué de sa méthode, il marche droit dans l’absurde, il s’y établit à l’aise, il y triomphe, et je sais bien que des raisonnemens sans pédanterie, des argumens sans formules et sans constructions algébriques, ne le convaincront pas. Il parle une autre langue que nous ; il se sert d’un calcul dont lui seul connaît les règles. Soit ; mais comment M. Proudhon, sans renoncer à l’emploi de sa logique particulière, ne fait-il pas les réflexions que voici : Cette méthode, à laquelle j’attribue une certitude mathématique, deux hommes seulement, Kant et Hegel, l’ont appliquée jusqu’ici. Elle aurait dû les conduire tous deux à la vérité absolue. Or, elle a conduit l’un à une sorte de scepticisme métaphysique et lui a défendu de rien affirmer sur tout ce qui n’est pas nous ; puis, complétée par une règle qui manquait à Kant, cette même méthode a dicté à Hegel le dogmatisme le plus impérieux qui fût jamais, un dogmatisme qui contredit les éternelles croyances de l’humanité. Ainsi, le scepticisme d’un côté, de l’autre des conclusions très positives, mais repoussées par le sens commun, voilà le produit de cette méthode que je proclame infaillible. Cette réflexion n’est-elle pas de nature à m’inspirer des doutes ?

Moi-même, doit ajouter M. Proudhon, moi qui possède comme eux cette merveilleuse dialectique, quels résultats ai-je obtenus par elle ? Un Dieu incapable de prévoir, un Dieu antisocial, anticivilisateur, antihumain, et en face un homme, créature finie, progressive et prévoyante, un être libre qui, engagé avec Dieu dans une effroyable lutte dont le prix est le gouvernement du monde, marche chaque jour à une victoire certaine. Tels sont les résultats de ma dialectique, résultats non pas seulement nouveaux, mais antipathiques à la foi du genre humain. Or, ma dialectique ne m’enseigne-t-elle pas, d’autre part, que le genre humain ne peut se tromper, et n’ai-je pas écrit cette phrase « Je ne disputerai jamais avec un adversaire qui poserait en principe l’erreur spontanée de vingt-cinq millions d’hommes ? » Hélas ! ces vingt-cinq millions d’hommes ne seraient ici qu’une bagatelle ; ce que je suis obligé de poser en principe, c’est l’erreur spontanée de la famille humaine dans tous les temps et dans tous les pays.

Enfin, ajouterait-il encore, si, malgré tant de motifs de doute, je persiste à croire que ma méthode est achevée et ses conclusions irréfutables, suis-je plus assuré pour cela d’être à l’abri de tout reproche ? Non, certes. Ma logique me dit de chercher le terme supérieur où se concilient les antinomies ; sans cela, je l’ai écrit mille fois, la loi de l’antinomie est mauvaise, elle ne donne que troubles et divisions. Je