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de la France par rapport à la Belgique et à la Suisse : il reconnut qu’il y avait là pour nous un intérêt majeur sur lequel nous ne pourrions transiger ; mais ce qui regardait le Piémont lui tenait plus à cœur, il avait même donné à entendre au cabinet de Berlin que la réponse française n’avait point été aussi nette pour le Piémont que pour la Suisse et la Belgique. On verra, par l’extrait suivant de la correspondance de Vienne, que la rare présence d’esprit de notre ambassadeur ne permit pas au prince chancelier d’entretenir de longues illusions.

M. de Sainte-Aulaire à M. de Broglie.
« Le 20 novembre 1833.

« … La dépêche achevée, sans attendre mes observations, le prince a commencé la lecture du rapport par lequel le baron de Hügel lui rend compte de l’entretien qu’il a eu avec votre excellence. Le rapport m’a paru fait dans un bon esprit, et en général avec exactitude. Une omission fort remarquable a cependant donné lieu à un incident dont je vous dois un compte détaillé. Votre excellence a signifié très positivement au baron de Hügel que la France ne tolérerait à aucun prix une intervention étrangère en Suisse ou en Belgique. Après avoir lu ce passage, le prince s’est interrompu pour louer votre prévoyance et pour approuver cette restriction, conforme de tout point aux intérêts de la France et aux principes du droit public. « La Suisse est un état fédératif qui a ou doit avoir en lui-même les moyens de pourvoir à sa conservation. Sa neutralité est d’ailleurs reconnue par toutes les puissances de l’Europe. La neutralité de la Belgique l’est aussi, et cette circonstance, commune aux deux états, les place dans un cas exceptionnel qui légitime tout-à-fait la doctrine de M. le duc de Broglie sur la non-intervention. »

« J’ai admis ce plaidoyer en votre faveur, monsieur le duc, ajoutant qu’une explication peut-être plus directe encore de vos principes se trouvait dans la position territoriale des états dont il s’agit, position qui ne permettrait pas à la France, dans l’intérêt de sa dignité, d’admettre l’action d’une force étrangère. Le prince de Metternich, sans me répondre, a repris son papier et continué sa lecture ; mais, comme j’ai remarqué qu’elle le conduisait à un autre sujet, j’ai demandé s’il ne passait pas quelque chose. « Non, m’a-t-il répondu en me montrant la dépêche du baron de Hügel. — En ce cas, ai-je répliqué, je m’étonne qu’un rapporteur exact et consciencieux ait pu faire une omission si grave. M. de Broglie n’a certainement pas parlé de la Suisse et de la Belgique sans parler aussi du Piémont… »

« Après l’affirmation répétée par moi, que vous aviez toujours considéré le Piémont comme un territoire sacré, dont la France ne souffrirait à aucun prix l’invasion, le prince de Metternich a répliqué avec un calme assez solennel : « Rien de pareil ne m’est dit, vous le voyez, au nom de votre gouvernement ; mais voulez-vous me le dire ? prenez-vous sur vous de me le déclarer ? — Sans hésiter, ai-je répliqué vivement. Je n’ai certes nulle mission pour vous faire