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où ils s’évanouissent, faire disparaître enfin la thèse et l’antithèse dans une synthèse supérieure. Cette dialectique a été mise en œuvre par Hegel avec une prodigieuse audace. Tout le système du philosophe de Berlin est renfermé dans une opération de ce genre. L’infini, s’ignorant d’abord lui-même, se divise pour se déterminer et se connaître : par cette scission, il pose hors de lui son contraire, qui est le fini. Voilà la thèse et l’antithèse ; comment se rétablit l’unité ? comment reparaît l’harmonie ? L’unité, la synthèse harmonieuse de l’infini et du fini, c’est l’esprit absolu qui, sorti d’abord de l’infini et de l’indéterminé, puis long-temps captif dans les formes périssables de l’univers créé, acquiert enfin, après des milliers d’années, la conscience de soi-même, et retrouve, sur les ruines de la nature et de l’homme, sa divinité laborieusement conquise. M. Proudhon ne s’explique pas très nettement sur cet étrange poème indien, sur ces prodigieuses hallucinations de Hegel. Il faut croire pourtant que cette dialectique ne le satisfait pas ; car, passant rapidement sur la réduction des antinomies dans la synthèse, il arrive à une autre méthode qui a aussi pour but de concilier les contraires, et qu’il appelle la théorie sérielle. Rien n’est isolé dans la nature, s’est dit M. Proudhon ; « tout ce qui s’isole, tout ce qui ne s’affirme qu’en soi, par soi et pour soi, ne jouit pas d’une existence suffisante, ne réunit pas toutes les conditions d’intelligibilité et de durée, Il faut encore l’existence dans le tout, par le tout et pour le tout ; il faut, en un mot, aux rapports internes unir des rapports externes. » La logique nouvelle, l’organe suprême de la science, se propose de chercher ces rapports externes, de grouper les idées selon leurs affinités naturelles, de les constituer en famille ; penser, c’est former des séries, et, dans l’absence de ces séries, de ces groupes, de ces familles d’idées, toute science est impossible. Le livre sur la Création de l’ordre dans l’humanité avait fait connaître en détail ce Novum Organum, en avait indiqué le mécanisme et formulé les règles ; mais l’auteur y revient sans cesse dans le Système des contradictions économiques, il en donne continuellement des résumés, et l’ouvrage tout entier n’est lui-même que l’application de cette théorie à la métaphysique et à la science sociale.

L’examen de cette logique ne saurait entrer dans le plan de ce travail. A côté de pensées ingénieuses, de conceptions originales, d’analyses subtiles et quelquefois profondes, il faudrait signaler d’innombrables sophismes. On aurait besoin d’arrêter l’auteur à chaque page et de discuter avec lui les affirmations hautaines qu’il ne daigne pas démontrer. Cet esprit si scrupuleux en apparence dans ses déductions logiques, ce penseur qui semble n’avancer que pas à pas et marcher, comme faisait Descartes, de certitude en certitude, nous le voyons recourir à de brusques enjambées et dérouter le lecteur attentif par d’inexplicables