Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/268

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

remettre aux fers les Magyars, ces anciens esclaves, race indisciplinée et rebelle. O mes concitoyens ! c’est ainsi que les tyrans ont toujours appelé les hommes libres. Vous êtes seuls, je le répète, voulez-vous combattre ? » Kossuth malade et souffrant, soutenu à la tribune par deux hommes, pâle et épuisé, jetait ainsi une sorte de défi à l’assemblée. Toute la chambre se leva et vota d’une seule acclamation les hommes et l’argent qu’on lui demandait.

Les mouvemens d’éloquence révolutionnaire, les appels au courage au nom de la patrie, manquent rarement leur effet sur une assemblée hongroise. D’après les rapports unanimes, l’impression de cette harangue fut prodigieuse. L’éloquence n’est pas rare chez les Hongrois ; il y a dans leur langue une noblesse naturelle qui la soutient sans effort au niveau des hautes pensées ; l’habitude des discussions politiques dans les comitats excite et développe de bonne heure le talent oratoire ; des juges compétens n’hésitent pas à mettre les orateurs hongrois au-dessus de ceux du parlement anglais, et, sauf les deux ou trois noms présens à toutes les mémoires, au-dessus des orateurs français. Je ne prends pas le jugement à mon compte, mais on comprend comment l’exercice et la pratique constante des affaires élèvent le ton général des discussions. Ce que l’on comprend moins, c’est qu’entre gens qui tous sont un peu du métier, l’impression, l’effet produits par l’éloquence, soient tout autrement subits, imprévus, contagieux qu’en France ou en Angleterre. Il faut remonter jusqu’à Rome et Athènes pour trouver des exemples de cette puissance de la parole, qui déplace tout à coup les convictions et produit dans les destinées d’un peuple des révolutions dont la philosophie de l’histoire chercherait en vain le secret. On ne peut jamais répondre de la décision que prendra une assemblée hongroise ; il n’est point d’engagemens de parti qui résistent à l’entraînement d’une parole habile et chaleureuse.

Kossuth savait mieux que personne comment on pouvait, en exaltant les sentimens les plus généreux de ses compatriotes, précipiter leurs résolutions et leur faire dire ce terrible mot clés guerres civiles Alea jacta est. Kossuth n’est arrivé que par degrés à la réputation d’éloquence et d’énergie que ses ennemis même ne lui contestent pas. Ses commencemens ont été pénibles ; il y a douze ans, c’était un pauvre avocat, occupé à suivre, pour le compte de quelques députés, les affaires que les comitats leur confient et la correspondance que ces affaires nécessitent. Quelques magnats, qui appréciaient son intelligence et son activité, résolurent d’en profiter pour organiser un journal des séances de la diète. À cette époque, toute la publicité pour la diète se bornait à quelques bulletins de dix lignes qui paraissaient dans les journaux censurés et contenaient le résumé de ses travaux. Kossuth se chargea volontiers de l’entreprise. Il organisa un service de jeunes écrivains