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ton de notre diplomatie les avaient surpris et froissés. Leur mauvais vouloir était grand contre nous, et cela était naturel. Rien ne leur avait réussi depuis 1830 ; tous les événemens, conséquences de notre révolution, tournaient contre eux. Les idées du siècle les environnaient de toutes parts comme une marée montante, et c’était à la voix de la France que ces flots redoutables semblaient obéir. Comment les faire reculer ? comment conjurer les périls suscités par une ancienne ennemie dont on avait bien compté n’avoir plus jamais rien à redouter ? N’était-ce pas le cas ou jamais de recourir à ce système de coalition dont on s’était jadis si bien trouvé ? Quelque ferme résolution préalablement arrêtée entre les trois grandes puissances, signifiée solennellement, ne suffirait-elle pas pour donner à réfléchir au gouvernement français, pour l’empêcher de pousser trop rudement ses avantages ? L’essai, au moins, n’en devait-il pas être tenté ?

Le public a peut-être un peu perdu aujourd’hui la mémoire, si tant est qu’il y ait jamais fait grande attention, des promenades que, de 1830 à 1833, les souverains du nord de l’Europe avaient pris l’habitude de faire régulièrement dans le nord de l’Allemagne. On ne passait point d’été sans apprendre que l’empereur d’Autriche, ou le roi de Prusse, ou l’empereur de Russie, ou leurs ministres dirigeans, s’étaient tout à coup et fortuitement rencontrés dans je ne sais quelle petite ville d’Allemagne dont le nom à demi barbare résonnait pour la première fois aux oreilles des nouvellistes. Dans ces entrevues, d’ailleurs assez courtes, mais qui causaient grand émoi aux diplomates de tous les pays, s’agitait périodiquement la question, tous les ans plus embarrassante, de la conduite à tenir vis-à-vis de la France. Chacun des princes apportait dans ces entretiens intimes ses impressions particulières, résultant soit de la position spéciale de son gouvernement à notre égard ; soit de ses sentimens personnels envers la nouvelle dynastie française. L’empereur Nicolas, provocateur ordinaire de ces conciliabules, en était l’ame ; il aurait bien voulu en être le conseiller exclusif et au besoin le chef unique. Le czar affichait, à cette époque, une aversion profonde pour notre révolution, qui avait si fort dérangé tout son système de politique extérieure, et à laquelle il avait hautement prédit une très médiocre durée. Il ne pouvait lui pardonner de n’avoir point encore vérifié sa prophétie, et de n’avoir, en maintes occasions, opposé à ses boutades de mauvaise humeur que la plus tranquille indifférence. C’était donc lui qui mettait en avant les résolutions extrêmes, qui cherchait à jeter les souverains de Prusse et d’Autriche dans quelques-unes de ces manifestations qui lient irrévocablement ceux qui s’y sont une fois laissé entraîner. Le plus souvent, les aventureux projets de l’empereur Nicolas étaient de prime abord écartés. Quelquefois le roi de Prusse et l’empereur d’Autriche pro-