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mais, si l’effet de mes paroles était bon dans l’instant, il était bientôt détruit par la maladie. Une inquiétude constante et vague m’empêchait de manger, et souvent même de travailler. Léopold, qui ne pouvait se dissimuler qu’il en fût la cause, s’accusait d’entretenir mon chagrin, et, de son côté, il paraissait tout aussi préoccupé de moi que je l’étais de lui.

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« La dernière lettre qu’il reçut de Florence est arrivée le 8. Elle lui annonçait le projet d’aller à Rome, le félicitait de la réussite de son tableau dont on lui demandait une description. Cette lettre fut brûlée, comme les autres l’avaient été quelques jours avant, avec un calme qui annonçait une détermination fixe. Il n’aimait pas à me parler de sa passion ; cependant je ne pus m’empêcher alors de lui dire que c’était à elle que j’attribuais l’état de découragement auquel il était réduit : « Tu te trompes, me répondit-il, j’en suis guéri, je n’y pense plus. — Si ce n’est pas de la passion que tu souffres, c’est de ses suites, lui dis-je ; maintenant que tu l’as arrachée de ton cœur, tu dois sentir un vide ; c’est le moment d’essayer à te distraire. Allons en Suisse ou à Paris, là tu trouveras une occasion de te marier. – Ah ! mon cher, il est trop tard ! Ô Dieu ! si je pouvais revenir dix ans en arrière, comme je le ferais !… »

La veille de sa mort, nous étions réunis le soir, comme de coutume, dans la chambre de nos padroni di casa, avec MM. Fortigue[1] et Joyant. Léopold était encore plus triste qu’à l’ordinaire, et il ne prit aucune part à la conversation générale. J’affectais de paraître gai, mais par momens je sentais les forces m’abandonner, autant par inquiétude que par besoin de sommeil. Ses yeux étaient sans cesse fixés sur les miens, et souvent il me demandait ce que j’éprouvais. Nous sortîmes enfin, et, dans ce moment, il me recommanda d’entrer dans sa chambre en montant vers la mienne ; ce n’était pas mon habitude, parce que Léopold se couchait ordinairement de bonne heure. Lorsque j’entrai chez lui, il m’attendait pour m’offrir un verre d’eau sucrée à la fleur d’orange, dans l’intention de favoriser mon sommeil, et il me tendit la main avec une expression tendre et triste qui me déchire maintenant le cœur.

« Je dormis fort mal. Le matin, je me levai un peu tard, et Léopold, contre son habitude, monta jusqu’à ma chambre. Après nous être réciproquement demandé et donné de nos nouvelles, sans doute avec aussi peu de sincérité l’un que l’autre, Léopold me demanda ce que je lui conseillais de faire et s’il devait partir. Comme nous avions souvent

  1. M. Fortigue était un ancien président de la Colombie, homme jeune et de grand mérite, qui, ayant passé l’hiver à Venise, avait montré une vive estime à Robert, et devait partir avec lui.