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se donnât la mort, sont, comme on va en juger, empreintes d’une mélancolie profonde ; mais c’était le caractère de toutes celles qu’il écrivait depuis long-temps, et la dernière, non plus que les autres, n’était pas de nature à faire pressentir une catastrophe immédiate.


Le 14 février 1835.

« Quand je cause avec vous, je suis heureux ; je goûte ce repos d’ame que je voudrais toujours avoir, et, pour mon avantage, je ne vous écris pas assez, je vous assure. Vous allez vous récrier et me trouver bien déraisonnable ; mais, que voulez-vous ? après de grands et douloureux sacrifices exigés par la raison, l’irritation qui en résulte réduit à un pénible état de faiblesse. Vous le savez, les violens remèdes ont souvent fait périr ; mais je ne suis pas disposé encore à ne plus faire usage du courage qui ranime, et c’est à vous, mon ami, mon bon génie, que je le dois. L’assistance divine me rendra toute ma force et mon énergie elle m’a mis en situation d’envisager la vie comme un bien. La nouvelle que M. Granet vous a donnée de ma nomination de correspondant de l’Institut m’a fait plaisir, mais je suis étonné qu’on ne m’en ait pas donné l’avis ici. Je suis même surpris de n’avoir rien appris de Rome, ce qui me fait presque penser que M. Granet s’est trompé. Si cette nouvelle se confirme, j’en serai certainement content ; mais je ne ferai jamais aucune démarche pour obtenir un pareil honneur, qui ne me semblerait plus alors avoir de prix. »

Puis il parle de ses caisses et de son malheureux tableau retardé. « Il a été, ajoute-t-il, commencé sous l’influence d’un mauvais sort. J’y ai toujours travaillé comme poussé par un génie malfaisant. S’il avait été entraîné dans une avalanche, je n’y trouverais qu’un complément à ma mauvaise inspiration, et je tâcherais à m’en consoler, en pensant qu’on ne peut aller contre la volonté de Dieu. »


Du 19 février.

« Je vous ai écrit une lettre bien sotte, mon excellent ami, et j’ai eu de plus la sottise de vous l’envoyer. Je la fais suivre bien vite par celle-ci, pour que vous ne soyez pas long-temps indisposé contre moi. Je devrais toujours choisir mes momens pour causer avec vous, afin de ne pas vous donner des idées désagréables. Vous direz peut-être à cela que vous préférez connaître la vérité sur l’état moral où me jette mon imagination. Cette imagination est si mobile et si rapide parfois dans ses changemens, que je me figure ne pas jouir de toute la raison nécessaire à l’homme sensé. Mon bon frère en est trop affecté, car j’ai le tort de ne pas dissimuler avec lui, et je lui dis des choses que je me reproche bien ensuite. Il est d’une bonté et d’une raison qui, chaque jour, me fait mieux apprécier ses mérites et son attachement. C’est mon bonheur. Dans les momens d’humeur noire où je vous écrivais