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ambitieuses, lesquelles, sous couleur d’assurer le bonheur des nations et de la patrie, ne songent en réalité qu’à l’intérêt personnel. Ici la police se fait assez doucement à l’égard des habitans. Ce sont plutôt les étrangers que l’on craint, et je suis très aise, pour mon compte, de m’être procuré une lettre pour le gouverneur, le comte de Spaur, qui m’a paru très bon et très accueillant. J’en avais une aussi pour la comtesse de Palcastro, fort jolie personne qui cause très bien. Elle passe pour une protectrice des arts ; mais je n’ai guère eu l’occasion de m’en apercevoir dans sa conversation : elle m’a semblé, au contraire, en parler avec indifférence.

« Quoiqu’on m’ait accueilli d’une manière assez flatteuse, je ne suis retourné chez personne. J’ai remarqué qu’ici, en général, parmi les gens du monde, les artistes sont peu considérés. Un homme du monde qui vous rencontrerait, une toile ou un cahier de croquis à la main, vous éviterait infailliblement. On s’aperçoit que les Vénitiens n’ont plus des Titien ni des Paul Véronèse[1].

Ces jugemens sur l’école de Venise se complètent par une allusion que, dans une autre lettre, du 4 mai 1834, Robert fait aux maîtres vénitiens, à propos d’un jeune artiste venu en poste et en gondole pour faire au pied levé de la couleur à la Titien. Le contraste d’une existence agitée à Paris avec le silence et la placidité de Venise avait reposé et enchanté tout d’abord le jeune enthousiaste, et les premiers mois de séjour se passèrent à merveille ; « mais, dit Robert, la monotonie du lieu, qu’on finit toujours par sentir, réagit sur son esprit. Tout feu et tout ardeur en arrivant, cette vivacité de sentiment ne put tenir à la longue, parce qu’il y avait au fond trop d’excitation. L’énergie qui produit les plus belles choses est calme, et une ardeur inquiète ne saurait se maintenir le long temps qu’il faut pour les produire. Je vous dirai aussi en confidence qu’il est venu ici pour faire sur-le-champ de la couleur vénitienne à la Titien ; mais c’est là un maître qui est arrivé à cette perfection, non-seulement avec son expérience, mais avec celle de ses prédécesseurs, et qui a gardé ses pinceaux. Il y a, on peut dire, dans son exécution des secrets que l’observation la plus approfondie ne peut faire deviner. Aussi est-ce, à mon sens, vouloir courir avant de savoir marcher, que de prétendre adopter tout de suite une manière si occulte et inventée dans ses procédés. En suivant

  1. Lettres à MM. Marcotte, Victor Schnetz et Jesi, 1832. — M. Jesi, l’un des correspondans de Robert, est un graveur de premier ordre, né à Modène et établi à Florence, où il vivait dans l’intimité de la famille Bonaparte. Il réunit un sentiment élevé de l’art à un grand charme d’exécution. Entre autres planches capitales, on a de lui le pape Léon X, d’après Raphaël, qui lui a valu les applaudissemens de tous les connaisseurs et sa nomination de membre correspondant de l’Institut de France, Académie des Beaux-Arts. Il s’occupe, en ce moment, de la gravure de la Cène de Raphaël, découverte, il y a trois ans, dans un ancien couvent à Florence.