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eu d’obtenir votre amitié. Vous voulez bien prendre tant de part à mes occupations, et l’intérêt que vous avez témoigné à mes succès me fait désirer d’en obtenir d’autres. Mais comment entreprendre des tableaux ici où l’on ne parle que guerre civile ?

« Neufchâtel enlevé par les patriotes, les membres du gouvernement, à ce qu’on m’assure, se sont réunis en grande partie à Valengin, où se forme un noyau pour les soutenir. Il est déjà imposant, et l’on dit que M. Fritz Pourtalès est à la tête. Quelle douleur ! Vous savez combien je désire la paix et l’ordre, et combien je suis persuadé que la liberté fait plus de progrès véritables pendant la marche régulière des années que par des secousses violentes où les passions entraînent tant d’injustices et de malheurs ; mais enfin souffrons les choses que nous ne pouvons empêcher. Heureux celui qu’une philosophie sage dirige et qui peut placer les espérances du vrai bonheur hors de ce monde, où il ne saurait se trouver ! »

Le 10 décembre suivant, il revient sur le même sujet dans une lettre à son compatriote Auguste Snell : « J’ai laissé notre pauvre Suisse dans une situation bien triste. Il règne une fermentation incroyable. Les unitaires voudraient absolument changer l’organisation générale et centraliser le gouvernement. C’est un désir qui, je l’avoue, est louable ; mais, en vérité, est-il possible de le satisfaire tout de suite ? Je ne le crois pas. La Suisse n’est pas mûre encore pour un changement aussi notable, et il en pourrait suivre une guerre civile longue et désastreuse. Les gens de bonne foi du parti reconnaîtront trop tard, et quand il n’y aura plus moyen d’empêcher les malheurs, que leur perspicacité n’a pas été assez loin ; et, s’ils ont les sentimens élevés, ils souffriront cruellement d’avoir travaillé au malheur de leur patrie. Pour l’Italie, j’ai eu le plaisir de la trouver assez tranquille, au moins en apparence. »

Le paisible Robert, sentant le soi trembler sous ses pas, s’était vite éloigné de la Suisse. Il avait laissé son frère Aurèle dans sa famille, et s’était rendu à Florence, où il peignit deux petits tableaux, et où il revit, durant deux mois, mais pour la dernière fois, la personne qui préoccupait sa pensée, et dont il eût été si désirable qu’il évitât la présence. Enfin, au mois de février 1832, il alla s’établir à Venise, pour y peindre le quatrième tableau de sa collection des Saisons.


II

Il avait déjà vu Venise à son retour de Suisse, après la mort de sa mère, et les lettres qu’il a écrites à M. Marcotte et à M. Navez contiennent, sur ce premier voyage, des impressions intéressantes.

« A M. Marcotte, 1er décembre 1828.

« Je me trouve enfin de retour à Rome, et, à mon arrivée, mon