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après quoi le plus grand nombre est parti en armes pour s’emparer de la ville de Neufchâtel, casser le gouvernement existant et ne plus reconnaître le roi de Prusse pour souverain. De chaque village sont également partis des détachemens, et toutes ces jeunes têtes ardentes sont arrivées en même temps aux portes de la capitale sans défense. Ils s’en sont emparés, après avoir fait tirer contre elle deux coups de mitraille. Ils voulaient faire abdiquer les membres du gouvernement ; mais ceux-ci s’étaient dispersés. Sur ces entrefaites, toute la population s’est armée : les uns (et c’est le plus grand nombre) pour maintenir l’ordre dans chaque village ; les autres, les paysans surtout, pour aller à l’aide du gouvernement et maintenir le système actuel. Nous voilà donc en guerre civile ! N’est-ce pas épouvantable d’avoir des amis, même des parens, à la tête du mouvement révolutionnaire ? Mais les hommes sont si fous, qu’on ne se reconnaît plus dans ce monde.

« Il perce évidemment dans la masse de la population un désir de s’affranchir de la domination prussienne ; mais les personnes les plus sensées voudraient que cela se fît paisiblement, et gémissent de voir que, pendant quelque temps, les affaires seront menées par des têtes peu raisonnables. Mon arrivée, par tous ces motifs, a été bien peu agréable, quoique je puisse dire que chacun des partis me considère et m’accueille d’une manière très distinguée. Cela me donne peut-être plus qu’à personne, en ma qualité de neutre, la faculté de faire à ces désespérés des observations mieux écoutées qu’elles ne le seraient d’une autre bouche.

« Je voudrais que vous vissiez notre Chaux-de-Fonds ; vous seriez étonné de voir autant d’aisance, autant d’industrie, une population que le commerce fait accroître si rapidement, et qui cependant désire un autre état de choses et d’autres avantages. C’est bien le cas de dire que les hommes sont insatiables. Enfin, nous sommes entrés dans une route dont on ne peut voir le bout. Aussi je ne cesse de gémir de ne pouvoir vivre avec les personnes que j’aime, que je respecte, et dont toutes les actions et tous les sentimens ont la raison pour principe. J’ai cependant beaucoup de bonheur à me trouver avec mes parens les plus rapprochés qui m’aiment et me le témoignent.

« Mais vous, mon cher ami, vous dirai-je combien j’ai été peiné de vous quitter ? Je puis vous assurer que ç’a été pour avoir le bonheur de vous connaître que j’ai été à Paris. L’amour-propre satisfait et la vanité n’auraient pas été capables de me faire me déranger de mes occupations. Je vous dois les plus beaux momens que j’aie passés dans la capitale. Combien je pense à vous et à votre chère famille ! Ma reconnaissance pour vous est partagée par tous mes parens : mon père, mes sœurs s’intéressent à vous, monsieur, et désirent ce qui peut vous être agréable. Ils aiment à m’entendre m’extasier sur le bonheur que j’ai