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taciturnes. Par un hasard singulier, les deux frères, l’aîné arrivant d’Italie et Aurèle venant de Suisse, descendaient le même jour, et presque à la même heure, dans la maison amie de M. Marcotte.

A peine l’arrivée de Léopold Robert fut-elle connue à Paris, que la curiosité publique se dirigea vers sa personne. Il y répondit peu. Ceux qui ne le connaissaient pas étaient avides de juger de la physionomie de son ame par les traits de son visage, de lire l’homme intérieur dans l’homme extérieur. La parole, le regard, le geste, l’habillement, on interrogeait tout en lui. Ceux qui l’avaient connu jeune furent frappés des changemens survenus dans l’expression de sa figure, dans ses manières, dans son langage. Sa physionomie accusait une mélancolie plus profonde ; son geste, plus de mesure ; sa parole, un tour plus délicat, une sorte de parfum de sensibilité inaccoutumée. Était-ce le progrès d’une pensée toujours tendue vers le beau ? était-ce le fruit de ses habitudes méditatives ? C’était tout cela ; mais c’était encore, ainsi qu’on le dira plus tard, le stigmate fatal des orages du cœur. « La tribulation est à l’ame, dit Montaigne, comme un marteau qui la frappe, et qui, en la frappant, la fourbit et la dérouille. C’est la fournaise à recuire l’ame. » En effet, le propre des grandes passions est d’allumer et d’exalter à l’excès les facultés humaines, comme ces maladies de la jeunesse qui avancent avec la vie les forces et les délicatesses de l’intelligence.

Les éditeurs d’estampes projetèrent à l’envi des publications d’après ses ouvrages. C’était alors la fureur des albums, et quelques-uns lui demandèrent des dessins et des lithographies. Il exécuta, à Paris et en Suisse, quelques lithographies empreintes de ses qualités, mais aussi de cette âpreté de touche dont il ne sut jamais se défaire[1]. Il fit aussi plusieurs aquarelles d’une admirable force de ton. La princesse Marie en acheta une superbe, qui représentait une jeune Frascatane à la fontaine, composition qui rappelait celle d’un fort beau dessin exécuté par Robert, en 1827, pour son ami Navez : costume de l’île de Procida.

Le séjour de Robert à Paris fut de courte durée. Il partit pour la Suisse et revit sa famille ; mais des troubles politiques l’attendaient dans sa patrie. Voici comment il exprime, dans sa première lettre à M. Marcotte, le serrement de cœur qu’il éprouve au spectacle de la guerre civile :

« Chaux-de-Fonds, 12 septembre 1831.

« J’ai traversé notre canton, et j’ai cru remarquer parmi les jeunes gens de plusieurs villages une effervescence extraordinaire. Le lendemain de mon arrivée à la Chaux-de-Fonds, il y a eu un banquet de plus de cent jeunes déterminés pour fêter notre réunion à la Suisse,

  1. Voici le titre de ces lithographies, publiées chez Mme Delpech et chez Rittner et Goupil : l’Improvisateur, la Prédication, le Repos du Pâtre, la Mère italienne, une Suissesse, Bergère de Suisse avec un enfant, Brigand napolitain.