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Tels sont les incidens au milieu desquels s’avance assez rapidement encore l’œuvre de la constitution. Les vingt-neuf premiers articles sont déjà votés. Le préambule s’est terminé pacifiquement, aussitôt qu’à la place du droit au travail exigible par l’individu, on a simplement écrit au compte de la société une obligation morale de charité fraternelle. La peine de mort n’a été supprimée qu’en matière politique. Ni la philanthropie de M. de Tracy, ni la phraséologie de M. Hugo n’ont prévalu contre le cri impérieux de la vieille justice. L’impôt proportionnel a passé, comme nous l’avons vu, dans la constitution, et ce nonobstant la commission, qui ne se montrait point aussi brave que le gouvernement contre l’impôt progressif. Il y a eu en somme deux discussions intéressantes, l’une à propos de la liberté d’enseignement, l’autre dans la question des deux chambres. Un mot, avant tout, à M. Marrast en personne. M. Marrast est un président qui préside, c’est vrai, mais enfin ce n’est pas une raison suffisante pour user de son couteau à papier absolument comme d’une férule. L’ordre règne dans les débats, quand M. Marrast veut bien être impartial, c’est vrai, mais enfin il n’y a pas que l’ordre à maintenir dans une assemblée ; il y a bien aussi la dignité de ses membres qu’il faut respecter, et nous devons avouer que M. Marrast ne songe pas toujours à ce point-là. Les saillies de feu M. le président Séguier s’excusaient par une certaine pétulance que son grand âge ne laissait pas de rendre originale. M. Marrast, qui, sans être jeune, n’est pas encore si vieux, plaisante à froid et pourrait un jour blesser tel rustique à qui l’assemblée donnerait raison de se plaindre.

Cela dit en passant et pour régler nos comptes, nous voulons expliquer tout de suite comment l’ancienne querelle du sacerdoce et de l’Université a été si étrangement réveillée par M. de Montalembert, au beau milieu du travail de la constitution. Les membres de l’assemblée qui ont un parti pris ou des engagemens convenus dans la fameuse thèse de la liberté de l’enseignement s’étaient réunis pour s’accorder sur la marche à suivre : tous avaient trouvé qu’il était bon d’ajourner la question jusqu’aux lois organiques, et de ne point jeter ce bâton épineux dans les roues déjà si embourbées de la machine constitutionnelle ; M. de Montalembert n’a pas cru qu’il dût se soumettre à cette unanimité ; il a voulu s’en aller en guerre, et il a rédigé son amendement de bataille en compagnie d’une de ces personnes qui viennent au monde pour servir toujours la messe de quelqu’un. M. Roux-Lavergne, l’un des auteurs de l’Histoire parlementaire, a donc passé de l’église montagnarde de M. Buchez dans l’église un peu féodale de M. de Montalembert : grand bien lui fasse ! L’amendement n’était d’ailleurs qu’un prétexte de rencontre ; on n’y tenait point autrement. La rencontre n’a pas été heureuse. M. de Montalembert est un homme d’esprit qui, à force de se moquer de ceux qui criaient au jésuite, a fini par ne plus s’apercevoir qu’on était bien plus moquable de crier à l’universitaire ! Il ne fait pas bon se frotter de trop près aux pédans ; il en reste quelque chose, et l’on arrive à s’enfermer soi-même dans l’école. M. de Montalembert, qui a le sens politique, doit comprendre maintenant le faux pas qu’il a commis. Chef naturel d’un groupe assez considérable, il a donné devant lui comme un enfant perdu, et laissé par conséquent à un autre le soin de rallier son armée. Cet autre pourrait bien aller loin ; il a de la mesure, du tact, du sang-froid, et, pour comparer personne à personne, ce qui n’est pas ici précisément superflu, dans sa grande mine il a plus l’air d’un fils de croisé que M. de Montalembert. Nous voulons parler de l’hono-