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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.


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30 septembre 1848.

Le spectacle auquel nous assistons est vraiment des plus étranges qui se soient jamais rencontrés dans l’histoire, et ce serait un grand sujet de pitié, s’il n’y avait au fond de tout cela tant d’amertume et de mélancolie. Jamais architecte humain n’aura si bien senti d’avance que l’édifice qu’il élevait n’était qu’un édifice périssable ; jamais œuvre humaine, à l’heure de son enfantement, n’aura été si douloureusement assombrie par la perspective de sa caducité. N’est-ce, pas, en effet, un cruel contraste ? Les neuf cents législateurs qui représentent la France élaborent sans relâche une édition définitive du code national ; ils nous préparent une charte où nous puissions nous réfugier, comme en un solide asile, après tant de chartes bâclées et culbutées : c’est là leur vœu le plus sincère, et, l’on n’aura pas de peine à nous croire, c’est aussi le nôtre, c’est l’unanime désir d’un pays trop lassé. Ainsi donc, se dirait-on volontiers, ils ont l’avenir devant les yeux, ils s’appliquent aux besoins de l’avenir : hélas ! ils n’y pensent guère ; le présent les domine et les emporte ; ils bâtissent leur maison pour le jour d’aujourd’hui, tant pis pour demain. La constitution qu’on nous fait n’est pas, il s’en faut, l’assemblage méthodique des règles permanentes d’un monde futur ; elle est le produit complexe et souvent fortuit des circonstances éphémères que nous traversons. Elle ne cherche pas à s’inspirer d’abord des principes les plus naturels, des lois les plus durables de toute société politique ; elle réfléchit purement et simplement les nécessités momentanées d’un état de crise. La voix haletante et tumultueuse de la crise dicte ces tables solennelles qu’on propose pourtant aux hommages de la patrie régénérée. Voici tel mot équivoque qui doit à la longue donner de l’embarras ; n’allons pas au moins nous aviser de l’ôter ; pour l’instant, l’équivoque nous plait ! Voilà tel article qui ne serait point de mise en des temps meilleurs : dans trois ou quatre ans d’ici, l’on en convient, on ne verrait pas grand mal à s’en priver ; mais il a du bon pour l’année courante : écrivez-le bien vite en gros caractères dans l’immortelle constitution du peuple français !

Le peuple français est lui-même préoccupé du souci qui trouble les médita-