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Intérêts de nationalité générale ou de civilisation.

Voilà les trois intérêts qu’il ne faut jamais perdre de vue, qu’il s’agit de faire marcher ensemble, qui peuvent être tour à tour subordonnés les uns aux autres, mais qui ne doivent jamais être entièrement sacrifiés. Sans nul doute, un de ces intérêts peut à bon droit prendre sur les autres un ascendant marqué, et réclamer, dans un moment donné, une attention presque exclusive. Au lendemain d’une révolution, par exemple, il devient souvent nécessaire d’abandonner à peu près complètement la politique traditionnelle. Les circonstances nouvelles font loi ; elles interdisent pour un temps les longues vues d’avenir, et forcent à se confiner dans les préoccupations du présent. Elles peuvent obliger de rompre avec de vieux alliés et à se rapprocher momentanément d’anciens adversaires. Des situations ainsi forcées ne peuvent sans dommage se prolonger indéfiniment. S’il y a sagesse à les accepter franchement, il y aurait imprudence à s’y renfermer au-delà du temps nécessaire. Il y a plus, tout bon gouvernement doit chercher à sortir le plus tôt possible de la politique accidentelle pour rentrer dans la politique permanente. À cette condition seule, il peut rendre au pays toute sa force et toute sa liberté, le remettre à sa vraie place, le faire peser de son poids réel dans la balance des puissances européennes. Le rôle permanent de la France est un rôle honorable et brillant. C’est celui de promoteur de la civilisation et des idées libérales, de protecteur de l’indépendance des petits états. Quand la France est en monarchie, les intérêts de la dynastie régnante se confondent, à un certain degré, avec les intérêts nationaux ; ils sont, dans la plupart des cas, étroitement unis, souvent identiques, et se soutiennent les uns les autres. À ce titre, les intérêts dynastiques ont droit, eux aussi, à être pris en sérieuse considération. C’est un des mérites de l’institution monarchique qu’elle place dans le gouvernement lui-même un élément permanent comme la nation, et donne ainsi aux intérêts permanens de la nation un organe et une garantie.

Quand le gouvernement fondé en juillet est tombé, il était précisément en train de substituer la politique permanente ou nationale à la politique révolutionnaire. Il y avait à peu près réussi, ou du moins il avait déjà fait en sorte que la politique nationale ne fût pas en toute occasion asservie à la politique accidentelle ; il n’a pas péri parce qu’il a franchi ce pas scabreux ; sa chute est venue d’une autre cause. Quels ont été son langage et sa conduite dans les deux situations que je viens d’indiquer ? Comment a-t-il passé de l’une à l’autre ? L’attitude révolutionnaire a-t-elle été abandonnée sans motifs, sans dignité, par faiblesse, comme on déserte une position dont l’ennemi va vous déloger ? ou bien le retour aux traditions de notre ancienne diplomatie a-t-il été fait avec choix et maturité et pour le plus grand profit du