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se cache-t-il ? Pourquoi nous laisse-t-on ainsi dans l’ignorance ? N’a-t-on pas confiance en nous ? Qui donc doit défendre nos rues, nos places, nos maisons ? Qui se tiendra derrière nos barricades ? N’est-ce pas nous ? Pourquoi donc ne pas nous avertir de ce qui se passe, ne pas nous apprendre ce que nous aurons à faire ? — Ce n’était pas seulement la classe moyenne, c’était le peuple qui parlait ainsi. Je pus m’en convaincre, car, tenant à m’éclairer par moi-même sur les dispositions des classes inférieures, que la haute société milanaise croyait assez tièdes, j’allai dans les quartiers les plus pauvres de la ville, entrant dans les plus humbles maisons, interrogeant tantôt les ouvriers isolés, tantôt les groupes réunis sur la voie publique, et partout j’entendis les mêmes réponses, je constatai le même sentiment : un désir violent d’en finir avec les Autrichiens et l’assurance du succès mêlée à une vague défiance à l’égard des chefs de l’armée piémontaise. — Que feront-ils là-bas ? me disait un homme d’une cinquantaine d’années, à la taille athlétique, et dans les traits duquel se lisait un singulier mélange de ruse et de bonhomie joviale, un de ces hommes nés pour devenir ce que l’Italien appelle un capo popolo, et qui ce jour-là était déjà entouré d’un groupe d’auditeurs enthousiastes. Que feront-ils là-bas ? reprenait-il en clignant de l’œil et en hochant la tête du côté de la porte Romaine. Y a-t-il quelqu’un ou n’y a-t-il personne ? Tout le monde est-il muet, qu’on ne nous informe de rien ? C’est aux soldats pourtant à commencer ; nous, nous resterons aux barricades, et il faut que les soldats occupent pendant quelques jours les Autrichiens avant que notre tour vienne. Alors, si tout le monde y a été de bon compte, vous nous verrez à l’œuvre ; nous démolirons plutôt nos maisons pierre à pierre pour les jeter sur les Autrichiens, nous ferons des montagnes de nos corps pour les empêcher de passer. — La pensée qui occupait tous les esprits, c’était qu’une sorte de fatalité ramenait les Autrichiens aux lieux mêmes d’où ils avaient été chassés et d’où ils s’étaient enfuis avec tant d’effroi. Le même cri sortait de toutes les bouches. — C’est ici que la guerre a commencé, c’est ici qu’elle finira ; nous avons porté le premier coup, nous porterons le dernier.

Convaincue de l’excellent esprit du peuple, je me rendis au comité de défense pour l’engager à publier une proclamation qui instruisît les Milanais des résolutions du roi et du gouvernement, des dispositions prises pour assurer la défense de la ville, des ressources sur lesquelles Milan pouvait compter, et de la mesure dans laquelle on aurait à réclamer la coopération du peuple. On me promit de suivre ce conseil. J’étais encore au comité, lorsque plusieurs personnes vinrent formuler la même demande et obtinrent la même réponse. Quelqu’un me dit qu’un malentendu entre le roi et le peuple était à craindre, que l’on disait au peuple : Le roi ne veut pas se battre, et que l’on disait au