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devant l’orifice lumineux une lentille convergente. C’est donc là véritablement un œil artificiel dans lequel viennent se peindre toutes les vues extérieures. Ces images éphémères, il fallait les fixer ; la chambre obscure est un miroir, de ce miroir il fallait faire un tableau.

Niepce résolut ce problème en 1821. Sur une lame de plaqué ou cuivre argenté, il appliquait une couche de bitume de Judée. La planche ainsi recouverte était placée dans la chambre noire, et l’on faisait tomber à sa surface l’image transmise par la lentille de l’instrument. Au bout d’un temps assez long, la lumière avait agi sur la substance sensible. En plongeant alors la plaque dans un mélange d’essences de lavande et de pétrole, les parties de l’enduit bitumineux que la lumière avait frappées restaient intactes ; les autres se dissolvaient rapidement. On obtenait donc ainsi un dessin dans lequel les clairs correspondaient aux clairs, et les ombres aux ombres ; les clairs étaient formés par l’enduit blanchâtre de bitume, les ombres par les parties polies et dénudées du métal, les demi-teintes par les portions du vernis sur lesquelles le dissolvant avait partiellement agi. Ces dessins métalliques n’avaient qu’une médiocre vigueur ; Niepce essaya de les renforcer en exposant la plaque à l’évaporation spontanée de l’iode ou aux vapeurs émanées du sulfure de potasse, dans la vue de produire un fond noir ou coloré, sur lequel les traits se détacheraient avec plus de fermeté et de vigueur ; mais il ne réussit qu’incomplètement. L’inconvénient capital de cette méthode photographique, c’était le temps considérable exigé pour l’impression lumineuse. Le bitume de Judée est une substance qui ne s’impressionne que très lentement à la lumière ; il ne fallait pas moins de dix heures d’exposition pour produire un dessin. Pendant cet intervalle, le soleil, qui n’attendait pas le bon plaisir de cette substance paresseuse, déplaçait les lumières et les ombres avant que l’image fût entièrement saisie. Le succès n’était jamais assuré d’avance. Ce procédé était donc fort imparfait ; néanmoins, comme on le voit, le problème photographique était résolu dans son principe.

Envisageant dès-lors sa découverte sous tous les aspects, Niepce pensa qu’en appliquant l’art de la gravure à ses produits, il rendrait son invention plus utile et lui prêterait un développement sérieux. Ses tentatives dans cette nouvelle direction furent couronnées de succès. En attaquant ses plaques par un acide faible, il creusait le métal en respectant les traits abrités par l’enduit résineux. Il formait ainsi des planches à l’usage des graveurs[1].

Cependant, à l’époque même où Niepce voyait ainsi réussir ses premiers essais photographiques, il y avait à Paris un homme que le

  1. Nous avons vu chez un de nos habiles graveurs, M. Lemaître, quelques épreuves sur papier provenant du tirage de ces planches. Ces épreuves ont les qualités et les défauts ordinaires des gravures photographiques.