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connu et ils publient bien haut que le pouvoir représente théoriquement le pays lui-même, et qu’à ce titre il a droit aux égards et au respect de tous. Cette maxime a toujours été la mienne, la pratique en est seulement rendue un peu plus méritoire ; n’importe, je me soumets, et je fais effort pour ne pas faillir.

Afin de mieux observer tant de règles si rigoureuses, je voudrais essayer de détourner mon attention et celle du lecteur des préoccupations actuelles. Le présent me paraît à la fois agité et vide, propre à irriter la curiosité, mais plus propre encore à la fatiguer par son mouvement incessant, désordonné, sans limite et sans but. D’ailleurs, comment parler avec détail des affaires publiques ? Qui se soucie aujourd’hui des discussions un peu élevées et développées ? Ce n’est assurément pas l’assemblée des représentans, encore moins le pouvoir exécutif, et, en conscience, il serait injuste de leur en faire un reproche. À quoi bon débattre longuement des questions dont on ne possède pas les solutions, dont on sait qu’on n’est point maître ? Ne sommes-nous pas entraînés sur des courans irrésistibles, par des vents que rien n’arrête et qui déchirent toutes voiles ? Chacun ne sent-il pas sur lui la rude étreinte d’une main qui nous a saisis et nous pousse vers un but encore inconnu ? Ce n’est point à dire que les déterminations de chaque instant soient devenues indifférentes. Loin de là, elles décident plus que jamais du salut ou de la perte, de la vie ou de la mort ; mais il est évident qu’elles ne peuvent plus être prises après délibération et par réflexion. Sans doute les distinctions invariables du bien et du mal, du juste et de l’injuste, subsistent encore, mais toutes les autres règles sont comme suspendues et n’ont plus rien à faire chez nous. Chez nous, de long-temps les mesures politiques ne seront plus ni bonnes ni mauvaises en elles-mêmes ; elles seront de simples machines de guerre, des moyens de passer un mauvais pas, de simples expédiens, admirables s’ils nous sauvent, détestables s’ils nous perdent. La constitution nouvelle qui s’élabore, les lois organiques qu’on veut bien nous promettre, ne devront pas elles-mêmes être appréciées à un autre point de vue. Les plus jeunes ou les plus inexpérimentés parmi nos nouveaux législateurs pourraient seuls s’imaginer qu’on attend d’eux quelque œuvre de belle et symétrique proportion. L’homme sensé qui a pris au sérieux la tâche difficile de nous gouverner, et ceux qui vont, comme lui, au fond des choses, savent bien qu’on sera moins exigeant à leur égard, et que tout édifice semblera bon, sous lequel on pourra s’abriter la tête pendant la tourmente. Pourquoi me faire le pédagogue ennuyeux, et, à bon droit, fort peu écouté d’une société qui se noie et se rattrape où elle peut ? Ne vaut-il pas mieux se rejeter vers le passé comme vers un refuge ? Et dans ce passé si près de nous par le temps, déjà si loin par les événemens, à quoi se prendre, sinon, à ce qui est immuable,