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que l’administration ferme les yeux sur leur exportation toujours croissante. L’étranger qui vient, la bourse en main, mettre aux engrais un prix que nos pauvres cultivateurs ne peuvent pas atteindre, commet un crime de lèse-nation, aussi bien que s’il achetait, pour les transporter dans son pays, les élémens qui entretiennent la vie. En 1845, par exemple, l’étranger a acheté chez nous environ 32 millions de kilogrammes de résidus oléagineux (tourteaux), qui ont répandu, entre les mains d’un petit nombre d’agriculteurs, moins de 1,900,000 fr. A raison de 8 parties pour 100 de fumier de ferme, et de 10 kilogrammes de fumier pour 1 de froment, c’est une acquisition certaine de 500,000 hectolitres faite au préjudice des consommateurs par nos voisins ; c’est une valeur d’au moins 10 millions de francs, cédée à 80 pour 100 de perte ; c’est la nourriture de 150,000 ames et du travail pour plusieurs milliers d’ouvriers qu’on nous a ravis. Tous les agronomes éclairés demandent que l’exportation des engrais soit, sinon prohibée, du moins entravée par un droit qui favorise les acheteurs nationaux.

Un procédé beaucoup plus sûr pour augmenter les ressources alimentaires et en abaisser les prix, c’est de multiplier les moyens de transport. Chaque ville a son rayon d’approvisionnement qui est plus ou moins vaste, en raison de la promptitude et du bas prix des communications. Un inappréciable service, rendu par les chemins de fer, est d’élargir ces rayons d’approvisionnement et d’y faire entrer des localités improductives jusqu’alors, parce que les débouchés leur manquaient. Un courant d’échanges s’établit ainsi entre les campagnes et les villes : la vie est rendue à des terres mortes au profit du paysan, tandis que la ration du citadin devient plus copieuse. Pour les objets qui demandent à être promptement consommés, et dont la valeur est assez grande pour supporter les frais d’un long trajet, les chemins de fer sont incomparables. Paris reçoit ainsi la viande dépecée, le gibier, le poisson, le lait, les neufs ; les fruits des départemens les plus éloignés. Mais, ce qu’il faut surtout à l’industrie rurale, ce sont les transports, à très bas prix, pour l’envoi des denrées encombrantes et des matériaux propres à l’amendement des terres. L’agriculture française n’a pas le quart des moyens de transport dont elle aurait besoin : c’est là une des causes de son infériorité et de sa détresse. On estime que dix-sept départemens sont sans voies navigables, et que, pour vingt-cinq autres, les cours d’eau sont sans utilité. Nos canaux ont été tracés sous l’influence des manufacturiers, beaucoup plus que dans l’intérêt des cultivateurs, si bien que, suivant une remarque qui a été déjà faite, il est plus facile à l’Américain de venir chercher du plâtre pour ses prairies à Montmartre, qu’aux agronomes de certains cantons peu éloignés de Paris.

Une illusion contre laquelle il est bon de prémunir le public des