Il y a dix ans à peine, la société centrale d’agriculture, c’est-à-dire la réunion des plus grands propriétaires de France, couronnait la réimpression d’un des meilleurs traités d’économie rurale qui existent, celui de M. Crud, disciple et traducteur éclairé du célèbre Thaër. Le ministre du commerce subventionnait la publication. La noble ambition de l’auteur était « de soustraire les populations aux fréquentes atteintes d’une profonde misère, en introduisant un système d’économie rurale nouveau pour elle, un système qui tendît à donner au peuple des campagnes cette existence assurée, paisible et douce qui, en le rendant heureux, moral et bienveillant, l’attache à la tranquillité publique. ». Quel est donc, par rapport aux ouvriers, le résultat d’une expérience de vingt années, appliquée dans de larges proportions et dans plusieurs pays ? M. Crud déclare qu’il lui semble aussi avantageux que juste d’associer au produit net du domaine celui qui le dirige, et il ajoute : « Je suis tellement partisan de ce principe, que je voudrais intéresser de la même manière au succès de l’exploitation tous ses principaux employés, les maîtres ouvriers, et jusqu’aux premiers et plus anciens valets. J’ai moi-même essayé d’employer cette méthode dans mes propriétés de la Romagne, et je me propose de lui donner là une extension encore plus grande. » Des combinaisons de ce genre commencent à s’introduire dans les grands domaines de l’Allemagne et de la Pologne. Chez nous, on a effarouché la propriété : elle se blottit dans l’ornière, dans la crainte d’être entraînée trop avant. Tout projet conciliateur serait repoussé sans examen, comme entaché d’hérésie sociale. La majorité de l’assemblée nationale déclarait, il y a peu de jours, à propos de la colonisation de l’Algérie, que l’association des intérêts n’est pas applicable à l’agriculture. Dans les crises politiques, le plus grand mal que se font les partis extrêmes, c’est de s’aveugler mutuellement.
Le propriétaire, qui oppose à toutes les réformes une force d’inertie inébranlable, a-t-il donc tant à se louer de l’état des choses ? Je ne le crois pas ; peut-être même que, si les classes riches voulaient s’enquérir et réfléchir, elles seraient les premières à proposer certaines modifications dans les rapports actuels du capital et du travail, Je vais citer, non pas des écrivains aventureux, mais des hommes graves et expérimentés qui ont donné des gages aux principes d’ordre et de conservation. « L’ouvrier à la journée, dit M. de Gasparin dans son chapitre sur les conditions du travail agricole, déploie la moindre quantité de forces qu’il lui est possible sans encourir de reproches. Le minimum d’activité fi nit par passer tellement en habitude, qu’il est admis comme la règle. Le travail à l’année est encore moins lucratif. Il y a un contrat qui rassure l’ouvrier contre une expulsion subite. Un homme qui a été long-temps valet de ferme devient incapable du travail exigé des ouvriers à journée. » On va dire peut-être que ces hommes sont