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du partage des herbes fauchées[1]. D’ailleurs, la transformation des landes incultes en prairies artificielles ne pourrait pas être réalisée instantanément. Une terre n’est pas conquise et fécondée dès qu’on en a déchiré la surface. Un véritable défrichement est une opération nécessairement progressive. Avis à ces fondateurs de colonies agricoles qui se flattent d’apaiser des misères criantes en transplantant dans les campagnes ce qu’on appelle aujourd’hui le trop plein des villes, ce qui serait à peine le nécessaire, si l’agriculture était assez florissante pour consommer largement les produits de l’industrie.

Celui qui entreprend un défrichement possède bien rarement l’engrais nécessaire pour opérer avec fruit sur une grande étendue. L’acheter serait souvent impossible, et toujours ruineux ; il faut donc le fabriquer avec les faibles ressources d’une entreprise à son début. Le procédé consiste à produire sur le terrain déjà défoncé la plus forte somme possible de nourriture convertible en engrais, afin d’élargir progressivement le rayon de culture. Par exemple, un hectare étant semé en betteraves ou en pommes de terre, le produit consommé sur place fournira assez de matière fertilisante pour achever l’amélioration du premier hectare et commencer la transformation du second. Même procédé pour les années suivantes, avec des résultats d’autant plus marqués, que, sur des champs déjà en valeur, l’engrais peut être économisé par de bons assolemens. C’est en quelque sorte un placement à intérêts composés, dont les résultats sont tels, qu’au bout de dix ans, 50 à 60 hectares pourraient être amendés et utilisés. Ce que j’avance n’est pas une hypothèse de ma part : c’est, pour ainsi dire, l’analyse des calculs établis par d’habiles agronomes qui ont formulé la théorie du défrichement, calculs que j’ai sous les yeux.

Tout en reconnaissant la vérité de la théorie ; on peut comprendre pourquoi la pratique a été si rare : c’est qu’elle exige des frais écrasans pour le vulgaire des laboureurs, et, de plus, cette persévérance qui est la vertu des agronomes passionnés. Indépendamment de la fourniture du fumier au début de l’opération, il faut enfouir un capital dont le chiffre augmente chaque année à mesure que le champ s’élargit. Sans doute, le dédommagement sera proportionné aux avances. Le matériel toujours accumulé et la plus-value de la terre constitueront

  1. En 1763, la société académique de Berne, ayant mis au concours cette même question du partage des communaux, accorda l’accessit à un mémoire qui concluait ainsi : « Un soir marqué, toute la commune se rend sur les prés communs ; chaque communier s’arrête à la place qu’il juge à propos de choisir, et lorsqu’à minuit le signal est donné, depuis le haut de la colline chacun fauche l’herbe qu’il a devant soi en droite ligne, et tout ce qu’il a coupé jusqu’à midi du jour suivant est à lui. Il peut le faner à sa commodité comme lui appartenant, et ensuite le voiturer dans sa grange. L’herbe qui reste sur pied après cette opération est foulée et broutée par le bétail que chacun y envoie en commun. »