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papistes irlandais, hâves, nus et affamés, dont les Saxons puritains sont bien aises de se débarrasser ainsi. En 1847, trois cent mille Irlandais catholiques quittèrent leur île natale pour aller chercher aux États-Unis du pain ou la mort. Les nouvelles villes de l’Amérique septentrionale sont remplies de ces malheureux, qui non-seulement accroissent la puissance déjà formidable d’une nation ennemie, mais répandent dans le Nouveau-Monde la contagion de leur haine.

Maintenant l’esprit anti-papiste s’efface en Angleterre, et elle voudrait moraliser cette race négligée trop long-temps, dénuée de principes, et fléau de ses tyrans. En vain l’Angleterre donne du pain aux pauvres qui la gênent ; dès que les pauvres ont compris qu’ils étaient gênans et que l’aumône était une prime accordée à l’embarras qu’ils causaient, ils sont devenus plus paresseux et partant plus pauvres.

« On ne peut pas, dit la Chronique de Limerick d’août 1846, se procurer de moissonneurs ; ils aiment mieux aller tendre la main sur les grandes routes ou quêter les aumônes de la paroisse. C’est en vain que depuis mercredi dernier les plus beaux épis de blé nous sourient de toutes parts, courbant la tête sous leur glorieux fardeau ; il n’y a personne pour les recueillir, pas de faucille pour les abattre. Encore une semaine d’un temps pareil, et nous perdrons la moisson tout entière. Il est impossible d’arracher ces gens-là au plaisir de la mendicité et au bonheur de leurs haillons. Quand ils auront bien souffert, ils s’embarqueront pour l’Amérique avec quelques pommes de terre pour voir du pays, bien plus que pour échapper à la famine. »

C’est ainsi que l’Angleterre est punie de la mauvaise éducation qu’elle a donnée à sa jeune et sauvage soeur. Les pauvres trouvent-ils que les aumônes qui doivent remplacer le travail ne sont pas suffisantes, ou que le travail lui-même, quand ils l’acceptent, est trop pénible, ils s’assemblent et se révoltent, brûlant et pillant tout sur leur passage. Quelquefois ils instituent les travaux qui leur conviennent le mieux, travaux la plupart du temps factices et dérisoires, se réservant le droit de se les faire payer après.

En septembre 1846, dit la même Chronique de Limerick, une centaine d’hommes se rassemblèrent à Coonagh, armés de bêches et de pioches, et pratiquèrent un grand fossé au milieu de la route. Au milieu de ce fossé, ils plantèrent une borne, et sur cette borne ils placèrent un drapeau auquel était affiché le document suivant, trop curieux pour ne pas être rapporté : « Sachez bien que la suzeraine de Currafin (symbole des ouvriers et laboureurs du canton) est venue visiter l’arrondissement de Thenorth, et qu’ayant vu que de ce côté il n’y avait pas de travaux publics assez bien payés, elle nous a commandé de faire ce que nous faisons, ajoutant que, si on lui donne la peine de revenir une seconde fois, on en verra les conséquences. Que personne ne s’avise de combler ce fossé, ou d’interrompre notre œuvre présente, ou d’empêcher qu’on nous la paie ; terribles et puissantes seraient les vengeances par la vie et par la mort. ! »