Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/1005

Cette page a été validée par deux contributeurs.

serait divisée par le nombre des citoyens, et le quotient serait le lot de chacun. Réduit à ses termes les plus généraux, voilà tout le socialisme, voilà le but final de tous ses systèmes, et ils sont infidèles à leur propre nature, s’ils s’écartent de ces limites. En effet, que reprochent les socialistes à l’économie politique ? C’est, comme M. Louis Blanc, de ne pas mettre en rapport les forces de la production avec les moyens de consommation ; c’est, comme M. Proudhon, de laisser dévorer la substance du prolétaire par les profits arbitraires du capital, et d’exposer la vie du peuple aux chances des crises périodiques du commerce et de l’industrie ; c’est, en un mot, de ne point chasser l’inconnue de l’équation de l’offre et de la demande. J’ai donc raison de dire que tous les systèmes socialistes, à moins qu’ils ne consentent à prendre à leur compte le crime qu’ils reprochent à l’économie politique, à moins qu’ils ne se comprennent pas eux-mêmes et qu’ils ne sachent pas ce qu’ils veulent, doivent, par des procédés divers ou semblables, arriver à ce même résultat : supprimer l’inconnue du problème de la production et de la répartition des richesses ; diriger l’offre, c’est-à-dire la production, comme si toutes les demandes de la consommation étaient d’avance connues ; organiser enfin le travail de telle sorte que l’existence d’aucun homme ne soit plus exposée un seul jour aux chances de l’imprévu. Si poser le problème de la sorte était le résoudre, on voit que Maupertuis eût pu le trancher, dans l’espace d’une digestion, en bâillant d’aise dans son fauteuil à bras. Ce n’est pas plus difficile que le palais qu’Ésope se chargeait de bâtir en l’air, pourvu seulement qu’on fît parvenir les matériaux de l’édifice aux maçons enfantins balancés dans une corbeille au bec des aigles.

L’assimilation de l’humanité ou d’un peuple à un homme est-elle juste ? Voilà toute la question. Sans doute on voit des hommes isolés borner leurs besoins et produire avec très peu d’effort à la mesure de leur appétit. L’Indien d’Amérique n’a plus rien à faire quand il a tué sa proie ; le sauvage de la Nouvelle-Hollande s’endort dans une délicieuse hébétude lorsqu’il a mangé le poisson de sa pêche après l’avoir suspendu de la main un instant sur une tourbe embrasée ; le lazzarone, avec le salaire d’une course, gagne sa pitance de macaroni et peut boire comme un lézard tout son soûl de soleil et de paresse pendant une grasse journée. Mais les besoins d’une multitude d’hommes, d’un peuple, qui en serait le peseur et le jaugeur patenté ? Pour les évaluer, il faudrait commencer par mettre des limites aux besoins et par conséquent au travail de chaque individu ; il faudrait ensuite poser des limites au nombre même des consommateurs ; il faudrait que l’état, comme disait M. Proudhon dans une de ses boutades heureuses, mais inconséquentes, contre les communistes, se chargeât de faire lui-même les