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L’opération tournait au profit des riches : c’était aller à l’encontre des intentions d u législateur. Malgré la tentation offerte à la cupidité individuelle, les sentimens de prévoyance et d’équité l’emportèrent. On hésita à dépouiller les générations à venir au profit des vivans ; on recula devant la crainte d’arracher aux pauvres une ressource nécessaire. Dix-neuf communes sur vingt sont restées dans l’indivision. Si des parcelles sont parfois détachées du fonds commun, c’est dans un but d’utilité publique et sous le contrôle de l’autorité. Ces aliénations ne composent pas chaque année 6,000 hectares.

L’administration n’a pas fait connaître avec une exactitude suffisante comment se compose aujourd’hui le patrimoine des communes, dans quelles localités les biens sont situés, dans quelles proportions s’y trouvent les terres stériles, les terres arables, les bois, les marais. Proyer, dans ses Notes sur l’agriculture, attribue en moyenne à chaque département 106,873 hectares, ce qui donnerait pour toute la France plus de 9 millions d’hectares. Ce chiffre, que je crois exagéré, comprend sans doute les surfaces vagues de toute nature. M. Tendret, dans son rapport, où l’on cherche vainement des détails plus précis, annonce, pour la contenance totale des communes, 2,792,803 hectares : cette évaluation est probablement limitée aux terres arables, jugées propres à recevoir une exploitation avantageuse.

Avec la crise de février, inquiétudes vagues pour les subsistances, retour instinctif vers l’agriculture, doléances sur les terres incultes, calculs des millions d’hectolitres que devraient produire des millions d’hectares délaissés, et, finalement, projets pour la mise en valeur des propriétés communales, tout cela était dans le cours habituel des préoccupations révolutionnaires. Il est incontestable que le régime des pâturages communs n’est plus en harmonie avec les tendances de l’industrie agricole, et qu’il en résulte une déperdition de produits incalculable. Comment donc parviendra-t-on à concilier les traditions et les droits acquis avec le progrès industriel ?

Faut-il, à l’exemple de la Belgique, exproprier les communes pour cause d’utilité publique, donner une valeur vénale aux terrains par des irrigations faites aux frais de l’état, et vendre les biens à l’enchère[1], en faisant appel à l’industrie privée ? Si les systèmes suspects de favoriser l’agiotage aux dépens du pauvre doivent être proscrits, c’est à coup sûr dans les circonstances où nous sommes. Les ventes par privilèges et à bas prix aux habitans de la commune, le partage gratuit, proposition renouvelée par M. Guignes de Champvans, et en général tous les systèmes qui tendent à aliéner définitivement le patrimoine

  1. Les bruyères ainsi mises en vente dans la province de Limbourg ont produit en moyenne 395 francs par hectare. Les frais et indemnités d’appropriation s’étaient élevés à 195 francs.