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soumet aux plus violens exercices, ont porté une atteinte funeste à l’art de bien chanter, et son talent, dépourvu de souplesse et de charme, qui se nourrit des mauvaises traditions des écoles allemande et française, doit être considéré comme un talent de décadence.

Quant à Jean Pacini, l’auteur de la Niobe, de l’Ultimo Giorno di Pompeia, de Safo et de trente autres opéras plus ou moins connus, ce n’est qu’un imitateur facile de Rossini. Reste M. Mercadante, musicien instruit et fort habile, mais à qui le ciel a refusé le don de l’originalité. Après avoir marché aussi sur les traces de Rossini et s’être ingénié à reproduire la manière de Bellini, le voilà qui ambitionne aujourd’hui la triste gloire de M. Verdi. L’opéra d’Elisa e Claudio, son premier succès, est resté son meilleur ouvrage.

Le caractère de l’école italienne s’est, on le voit, considérablement modifié depuis que Rossini n’écrit plus. L’influence de la littérature étrangère et des nouvelles théories sur l’art dramatique ont excité les compositeurs du pays de Cimarosa à rechercher l’expression violente de la passion, à délaisser la peinture des sentimens aimables et délicats pour celle des sombres emportemens de l’ame. Une sorte de mysticisme s’est emparé de l’imagination sereine des Italiens. Leurs mélodies, plus sobres, d’un accent plus intime et plus tendre peut-être, sont moins développées, moins splendides et d’un style moins élevé que celles de Rossini. Les duos, les trios et en général tous les morceaux d’ensemble ont été conçus sur un plan plus restreint. L’art de traiter un thème et d’en tirer les conséquences qu’il renferme par l’enchaînement des épisodes et des modulations a été négligé, l’instrumentation est devenue plus grossière et n’a plus cette plénitude et cette variété élégante qu’on admire dans Otello et dans Semiramide. Entre les mains des successeurs de Rossini, l’art musical s’est évidemment abaissé, l’expression dramatique s’est appauvrie et a pris l’exagération et la monotonie du mélodrame. L’opéra italien n’est plus aujourd’hui qu’un tableau de genre.

C’est dans ce milieu que s’est produit Donizetti. Musicien plus habile, plus vigoureux, mais moins original que Bellini, talent plus fécond et plus varié que Mercadante et M. Verdi, supérieur à Pacini et à tant d’autres compositeurs de cet ordre, Donizetti doit occuper le premier rang après le rang suprême, qui appartient au génie. Il sera classé dans l’histoire de l’art immédiatement après Rossini, dont il a été le plus brillant disciple, et vivra dans la postérité par son chef-d’œuvre de Lucia, l’une des plus charmantes partitions de notre siècle. Pour caractériser à la fois la noblesse de son caractère et la tendresse de son talent, il ne faudrait qu’écrire au bas de son portrait ces mots de l’air final de Lucia :

O bell’ alma inamorata !


P. SCUDO.3