Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 23.djvu/955

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Affaire de circonstance, nous dit-on, épreuve temporaire, inconvénient obligé d’une transition difficile. Le beau moyen d’organiser la liberté, que de commencer par l’étouffer en avertissant qu’on finira par la rendre ainsi capable de supporter la licence ! Mais, dit-on encore, la crise est là qui ne marchande pas, il y a risque en la demeure. Parlons franchement : il ne s’agit pas, dans l’espèce, de la sédition armée, dépavant les carrefours à l’ombre d’un étendard sur lequel il y aura république contre république ; en face de pareils ennemis, on a l’état de siège ; il s’agit d’écrivains imprudens ou téméraires qui trouveront la république insuffisante ou mauvaise ; ce sont les propres paroles du général Cavaignac. Contre ceux-là, ce ne sera point assez de la justice ordinaire, elle serait trop lente ; il faudra cette justice sommaire de l’autorité executive qui frappe, selon sa sagesse, en dehors de la loi.

Le péril ainsi défini, nous ne saurions nous empêcher de croire que le gouvernement s’en exagère l’étendue et surtout l’urgence. Nous sommes, quant à nous, persuadés que les tribunaux interviendraient toujours assez tôt pour réprimer ce genre de délit, dont la contagion nous paraît médiocrement redoutable. Nous avons bien plus d’effroi de la lutte qui pourrait s’engager entre les différentes sortes de république que de celle que la république aurait à soutenir contre un prétendant quelconque. Si l’état de siège ne nous paraît pas de trop vis-à-vis des bouillonnemens de la démagogie, l’arbitraire appliqué sans appel à la presse nous semble du luxe vis-à-vis des regrets irréfléchis qui provoqueraient mal à propos le retour désormais impossible du passé, d’un passé clos comme celui-là par une irrémédiable aventure. La France a maintenant accepté ce qu’elle n’avait pas du tout désiré. Il n’y a que les aveugles de la montagne à qui l’esprit vienne de crier qu’elle a subi ce qu’elle accepte. On la précipite dans de terribles chemins ; elle s’en tire du mieux qu’elle peut, et ne se dissimule pas qu’il ne lui en coûterait pas moins pour retourner en arrière que pour aller en avant ; elle va donc, c’est là toute sa politique. Mais alors, pourquoi ce grand étalage d’appréhensions et de précautions au sujet des royalistes, le mot à la mode depuis quelque temps pour remplacer celui de réactionnaires, tout le monde ayant dû, par égard pour soi-même, être ou se dire de la réaction ? Nous voyons les deux grands partis qui s’honorent d’avoir autrefois porté ce nom de royalistes l’abdiquer aujourd’hui avec une convenance et une gravité dignes de nos respects, l’abdiquer généreusement devant le suprême intérêt de la patrie, et nous sentons trop nous-mêmes la souffrance de cet inévitable sacrifice pour douter qu’il soit sincère. S’il est çà et là des illusions plus opiniâtres, le drapeau qu’elles élèvent appartient trop à l’histoire pour reparaître encore dans le présent, et, si ces illusions se traduisaient jamais par des vœux plus effectifs, leur rôle serait court.

Il existe donc de meilleures raisons que celles-là pour justifier ce grand déploiement de sévérité dirigé avec une intention trop expresse contre un zèle monarchique dont les œuvres ne semblent en réalité ni si actives ni si menaçantes qu’on ne puisse les prévenir sans effacer une liberté dont l’état de siège lui-même s’accommodait. Nous sommes très convaincus que le général Cavaignac n’est pas homme à interdire la discussion, parce qu’elle atteindrait les personnes ou les actes de son gouvernement ; nous cherchons autre part et plus