Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 23.djvu/933

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un doux feu qui me fit tressaillir le cœur. Tandis qu’elle me regardait d’un air sévère et singulier, mais pourtant si plein d’amour,... je m’éveillai.

LV.

La nuit était froide et muette ; je parcourais lamentablement la forêt. J’ai secoué les arbres de leur sommeil, ils ont hoché la tête d’un air de compassion.

LVI.

Au carrefour sont enterrés ceux qui ont péri par le suicide ; une fleur bleue s’épanouit là ; on la nomme la fleur de l’âme damnée.

Je m’arrêtai au carrefour et je soupirai ; la nuit était froide et muette. Au clair de la lune, se balançait lentement la fleur de l’ame damnée.

LVII.

D’épaisses ténèbres m’enveloppent depuis que la lumière de tes yeux ne m’éblouit plus, ma bien-aimée.

Pour moi s’est éteinte la douce clarté de l’étoile d’amour ; un abîme s’ouvre à mes pieds : engloutis-moi, nuit éternelle !

LVIII.

La nuit s’étendait sur mes yeux, j’avais du plomb sur ma bouche ; le cœur et la tête engourdis, je gisais au fond de la tombe.

Après avoir dormi je ne puis dire pendant combien de temps, je m’éveillai, et il me sembla qu’on frappait à mon tombeau.

— « Ne vas-tu pas te lever, Henry ? Le jour éternel luit, les morts sont ressuscités : l’éternelle félicité commence.

— Mon amour, je ne puis me lever, car je suis toujours aveugle ; à force de pleurer, mes yeux se sont éteints.

— Je veux par mes baisers, Henry, enlever la nuit qui te couvre les yeux ; il faut que tu voies les anges et la splendeur des cieux.

— Mon amour, je ne puis me lever, la blessure qu’un mot de toi m’a faite au cœur saigne toujours.

— Je pose légèrement ma main sur ton cœur, Henry ; cela ne saignera plus ; ta blessure est guérie.

— Mon amour, je ne puis me lever, j’ai aussi une blessure qui saigne à la tête ; je m’y suis logé une balle de plomb lorsque tu m’as été ravie.

— Avec les boucles de mes cheveux, Henry, je bouche la blessure de ta tête, et j’arrête le flot de ton sang, et je te rends la tête saine. »

La voix priait d’une façon si charmante et si douce, que je ne pus résister ; je voulus me lever et aller vers la bien-aimée ;

Soudain mes blessures se rouvrirent, un flot de sang s’élança avec violence de ma tête et de ma poitrine, et voilà que je suis éveillé.


Epilogue.

Il s’agit d’enterrer les vieilles et mauvaises chansons, les lourds et tristes rêves ; allez me chercher un grand cercueil.

J’y mettrai bien des choses, vous le verrez bien ; il faut que le cercueil soit encore plus grand que la grosse tonne de Heidelberg.