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XXXIV.

Maintes images des temps oubliés sortent de leur tombe et me montrent comment je vivais jadis près de toi, ma bien-aimée.

Le jour je vaguais en rêvant par les rues, les voisins me regardaient étonnés, tant j’étais triste et taciturne.

La nuit, c’était mieux ; les rues étaient vides ; moi et mon ombre nous errions silencieusement de compagnie.

D’un pas retentissant j’arpentais le pont ; la lune perçait les nuages et me saluait d’un air sérieux.

Je me tenais immobile devant ta maison, et je regardais en l’air ; je regardais vers ta fenêtre, et le cœur me saignait.

Je sais que tu as fort souvent jeté un regard du haut de ta fenêtre, et que tu as bien pu m’apercevoir au clair de lune planté là comme une colonne.

XXXV.

Un jeune homme aime une jeune fille, laquelle en a choisi un autre ; l’autre en aime une autre, et il s’est marié avec elle.

De chagrin, la jeune fille épouse le premier homme venu qu’elle rencontre sur son chemin ; le jeune homme s’en trouve fort mal.

C’est une vieille histoire qui reste toujours nouvelle, et celui à qui elle vient d’arriver en a le cœur brisé.

XXXVI.

Quand j’entends résonner la petite chanson que ma bien-aimée chantait autrefois, il me semble que ma poitrine va se briser sous l’étreinte de ma douleur.

Un obscur désir me pousse vers les hauteurs des bois, là se dissout en larmes mon immense chagrin.

XXXVII.

J’ai rêvé d’une enfant de roi aux joues pâles et humides ; nous étions assis sous les tilleuls verts, et nous nous tenions amoureusement embrassés.

« Je ne veux pas le trône de ton père, je ne veux pas son sceptre d’or, je ne veux pas sa couronne de diamans ; je veux toi-même, toi, fleur de beauté !

— Cela ne se peut pas, me répondit-elle ; J’habite la tombe, et je ne peux venir à toi que la nuit, et je viens parce que je t’aime. »

XXXVIII.

Ma chère bien-aimée, nous nous étions tendrement assis ensemble dans une nacelle légère. La nuit était calme, et nous voguions sur une vaste nappe d’eau.

La mystérieuse île des esprits se dessinait vaguement aux lueurs du clair de lune ; là résonnaient des sons délicieux, là flottaient des danses nébuleuses.

Les sons devenaient de plus en plus suaves, la ronde tourbillonnait plus entraînante….

Cependant, nous deux, nous voguions sans espoir sur la vaste mer.