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plus mathématiquement littéraux dans les tons ; mais les anciens, plus forts, plus artistes, ont senti qu’à inégalité de moyens il fallait, pour rendre leurs modèles, prendre avec eux des licences, et en définitive ils sont plus fidèles, plus dans le caractère des maîtres. Traduire ainsi, c’est créer.

À cette époque où Robert commençait à sentir avec force la grandeur et le caractère divin de la pensée, les difficultés de son art lui apparaissaient plus ardues. Il avait l’intention de faire à Rome, d’après les fresques de Michel-Ange et de Raphaël (comme le fait aujourd’hui le grand graveur Toschi, d’après les fresques du Corrége à Parme), des dessins dont plus tard il aurait exécuté les planches ; mais comment rendre dignement ces chefs-d’œuvre ? C’est par la base que pèchent ordinairement les graveurs : par le dessin ; il s’était donc vigoureusement adonné au dessin, et, dans les premiers mois de son arrivée à Rome, il faisait, comme à son départ, les plus vastes projets en gravure. Cependant tout ce beau zèle tourna court. Une fois installé dans la ville sainte, il eut une telle joie de retrouver des amis, des camarades d’atelier qui ne s’occupaient que de peinture, que, pour s’essayer, il reprit de nouveau la palette, et finit insensiblement par renoncer tout-à-fait à sa première carrière. Aussi n’a-t-on de lui, en gravure, avec ses deux pièces de concours, que le portrait de la femme de David, d’après une peinture de ce maître, une tête du roi de Prusse Frédéric-Guillaume III, d’après Gérard, tête qu’il a reproduite en plus petit format pour l’ornement d’un Essai statistique sur le canton de Neufchâtel, par M. de Sandoz-Rollin[1], puis un petit portrait de M. de Pourtalès père, puis encore une petite scène champêtre, effet de nuit, et enfin un fragment de la Bataille de Sempach, grande planche terminée par Charles Girardet. Du reste, il le faut avouer, ces gravures, curieuses à raison du nom de l’auteur, n’ont qu’un mince intérêt comme art : ce n’est qu’un travail d’habile écolier. La gravure égratignée plutôt que burinée du portrait de la femme de David eut cette destinée curieuse, que l’éditeur, pour donner quelque essor à la vente de la planche publiée sans aucun nom, s’avisa de faire inscrire au bas celui de la duchesse de Bourbon. De ce moment, la vente augmenta sensiblement. Cette supercherie est plus fréquente qu’on ne croit, et il y aurait une nomenclature piquante à faire des portraits qui ont paru et reparu successivement, toujours également admirés et ressemblans, sous les noms les plus disparates.

  1. Robert avait le dessein de graver une collection des souverains de Neufchâtel : le portrait du roi de Prusse aurait fait partie de la collection, de même que celui de la duchesse de Nemours, resté inachevé, et dont on conserve une épreuve d’essai, à peu près unique, dans le musée d’Avignon.