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découragement bien pardonnable, après les fâcheux événemens qui m’ont contrarié, me faisait voir tant de difficultés invincibles, que je ne pouvais m’arrêter à aucune détermination. Maintenant tout me sourit : l’espoir d’une heureuse réussite se présente à moi ; j’aspire à de nouvelles études, et il me semble que ce sentiment est l’avant-coureur des progrès. »

Il partit donc ; mais, à son départ, il sentait en homme de cœur les obligations dont il était chargé, et le souvenir de la touchante abnégation des siens et du généreux patronage de M. de Mézerac devint, de son propre aveu, le mobile de ses actions et le gardien de sa jeunesse. Cette religion du devoir et du foyer domestique fut pour lui, dans tous les temps, la vie de l’âme, et il lui prenait parfois, au souvenir de sa famille, des attendrissemens subits qui le mettaient en larmes. Le nom de mère était sans cesse sur ses lèvres ou sous sa plume : « Si je puis juger ton cœur d’après le mien, disait-il à Brandt, je te souhaiterais une bonne mère, c’est-à-dire je te souhaiterais un bonheur qui ne peut exister sans cela. » Aussi avait-il accoutumé de dire que le chef-d’œuvre de la nature est le cœur d’une mère, et, à coup sûr, il ignorait que Grétry l’eût dit avant lui.

Comme les enfans (cet âge est sans pitié ! a dit La Fontaine), les jeunes gens sont très sévères dans les jugemens qu’ils portent les uns des autres. Les caractères concentrés et taciturnes ne sont souvent, à leurs yeux, que des caractères sournois et dissimulés. Or, le petit paysan de la Chaux-de-Fonds, resté lourd d’extérieur, se communiquait peu, s’ouvrait moins encore ; c’en fut assez pour que ses camarades de l’atelier de gravure trouvassent contre lui un texte incessant de saillies piquantes. Non pas qu’on le tourmentât plus que les autres, car on n’épargnait personne ; mais Robert, qui n’avait point la répartie prompte, prenait moins bien les plaisanteries. Sa timidité et sa gaucherie naturelles s’en accrurent, et avec elles s’accrut la malice des tourmenteurs d’atelier. On cherchait incessamment à l’exciter par la discussion qu’il aimait et où il poussait volontiers les autres, mais à laquelle, par défiance de lui-même, il évitait de prendre une part active. En résumé, il ne se sentait point aimé, quoiqu’il eût si bien mérité de l’être. Or, c’est la chaleur de l’affection qui eût pu fondre les glaces de son caractère. Il demeura donc concentré et intérieur, et il n’est pas douteux que ces souvenirs de sa première jeunesse n’aient réagi sur les impressions prédominantes de son âge mûr.

Avant son départ pour Rome, Léopold n’avait pas encore bien démêlé sa vocation définitive. Une lettre de lui, écrite à Brandt et datée de la Chaux-de-Fonds, 12 décembre 1817, en est la preuve.

« ….. Si je n’avais écouté que mon cœur, j’aurais répondu tout de suite à ta lettre ; mais combien sont froides toutes les paroles pour te peindre le bonheur que j’éprouve d’avoir rencontré un ami tel que toi ! Ton