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vue si juste, que ce qui manquait à la France pour atteindre au degré de richesse et de puissance qui lui appartient, augmenter le bien-être de tous ses habitans, et accomplir les progrès moraux et matériels qui sont le but suprême des sociétés, c’était un notable accroissement de son capital de production, et qu’on ne pouvait trop se hâter de le lui procurer. Voilà pourquoi nous nous félicitions, en commençant, de l’esprit général qui a présidé depuis dix-sept ans à l’administration de nos finances. C’est qu’on a marché sans témérité, mais avec constance, dans cette voie. Supposez qu’on eût moins entrepris, moins exécuté, en serions-nous plus riches aujourd’hui ? Non, et nous aurions les travaux de moins, c’est-à-dire la seule chance de nous relever plus rapidement dès qu’un peu de confiance pourra tirer parti de ces grands instrumens de richesse que nous a légués le dernier gouvernement. Ainsi ne nous bornons pas à dire que ce gouvernement n’a pas augmenté notre dette ; la vérité, c’est qu’il l’a diminuée. Il l’a diminuée de toute la valeur de ces travaux que nous devons à sa diligence ; il l’a diminuée en faisant agir le meilleur de tous les amortissemens, celui qui, pour enrichir l’état, ne se borne pas au stérile rachat d’une portion limitée de ses charges, mais qui multiplie ses ressources dans une proportion, pour ainsi dire, illimitée, en augmentant les élémens de la prospérité publique.

Il faut donc qu’on le reconnaisse, ce n’est pas un passé ruineux que ce passé dont on hérite ; ce n’est pas là une de ces successions qu’on n’accepte que sous bénéfice d’inventaire. Le sol était préparé, labouré, ensemencé, et bientôt nous aurions vu se décupler tant de précieux germes, si l’ouragan n’était venu tout bouleverser, et les semences, et le sol lui-même ! Il nous est bien permis de le dire, puisque M. le ministre des finances l’a déclaré du haut de la tribune, c’est un malheur pour tout le monde que la monarchie soit tombée si tôt et n’ait pas assez vécu pour mener à fin cette grande œuvre financière, qui, bien qu’interrompue violemment, laisse encore voir par ses débris ce que devait être l’édifice achevé. L’épreuve de cette cruelle année de disette, si merveilleusement supportée, avait donné la mesure de la puissance économique du pays. La sève, un moment refoulée, ne demandait qu’à se répandre. Les symptômes d’une reprise, d’une impulsion nouvelle, étaient aussi nombreux que manifestes. Sans doute, il existait aux approches de la catastrophe une inquiétude vague, une sorte d’instinct prophétique ; mais supposez que le vœu de M. Goudchaux eût été réalisé, une fois ce défilé passé, quel n’eût pas été le retour aux habitudes d’entreprise et d’activité ! Certes, dans ce grand naufrage, mes premiers, mes plus profonds regrets sont pour la liberté, cette liberté que nous possédions, vivante et réelle, au prix de tant d’années d’efforts, et à laquelle désormais nous sommes réduits à rêver