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en 1818, Rossini était dans la plénitude de sa gloire, puisqu’il avait déjà produit Tancredi, le Barbier de Séville, la Gazza ladra et Otello, fl allait entrer dans la seconde phase de son génie, dont la Donna del Lago, Mosè, Zelmira et Semiramide sont l’éclatante manifestation. Pour résister à l’admiration qu’avait excitée en Italie une telle succession de chefs-d’œuvre, pour ne pas se laisser éblouir par l’éclat d’une aussi vive lumière, il aurait fallu une nature fortement trempée ; lors même que Donizetti eût été doué de cette originalité puissante qui s’assimile tout ce qu’elle absorbe, il n’aurait pas échappé à l’influence que les œuvres de Rossini devaient exercer sur son talent. En effet, dans l’histoire des beaux-arts, il n’y a rien de plus commun que de voir les génies les plus vigoureux commencer par imiter les maîtres qu’ils trouvent en possession de la faveur du public, ou bien ceux vers lesquels ils se sentent attirés par une affinité secrète de leur nature. La jeunesse est rarement originale ; elle vit d’abord des sentimens et des idées qu’elle a puisés dans la famille et dans le milieu social où la destinée l’a fait naître. Ce n’est que lentement, et après avoir été mûris par le temps, que les êtres supérieurs brisent l’enveloppe qui les retenait captifs, qu’ils épurent les élémens dont on les avait nourris, et qu’ils dégagent leur personnalité. Tout homme qui a fait époque dans l’histoire de l’esprit humain a dû balbutier la langue de sa nourrice avant de trouver celle de son ame. Mozart a formé son style enchanteur en imitant, dans sa jeunesse, George Benda, Emmanuel Bach, Haendel, Gluck et Haydn ; Beethoven s’est inspiré de Mozart, et Rossini a dévalisé la moitié de ses contemporains, tels que Mayer, Paër, Generali, qu’il a laissés bien loin derrière lui, et dont il a mêlé les emprunts mélodiques avec ceux qu’il avait faits à l’instrumentation de l’école allemande. L’imitation est un besoin de la nature humaine. C’est l’acte par lequel la vie des générations qui s’éteignent est transmise à celles qui arrivent. Les hommes ordinaires consomment les idées du passé et les transmettent intactes et sans y rien ajouter, tandis que les êtres prédestinés fécondent l’héritage des siècles par l’activité de leur génie. C’est ainsi que le progrès s’accomplit toujours, sans rompre avec la tradition.

Toutefois il y a deux espèces d’imitations, deux manières de s’approprier la pensée dont on n’a pas eu la première initiative : l’une naïve, qui procède par l’inspiration, et qui est un résultat de la parenté, de la consanguinité des génies ; l’autre réfléchie, préméditée par la volonté qui s’imagine pouvoir surprendre le secret de la vie et dérober clandestinement le bien d’autrui dont elle prétend se glorifier. La première est légitime et féconde : c’est la divination de l’esprit par l’esprit, l’intuition de l’ame qui s’assimile le souffle d’une autre ame et s’identifie avec elle, c’est enfin la perpétuation des races intellectuelles, la manifestation d’une loi nécessaire au progrès de l’esprit humain. La seconde