Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 23.djvu/86

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

trois ouvrages, représentés successivement dans la même année, ne fut accueilli avec une faveur bien décidée. La Favorite elle-même, cette charmante partition qui est aujourd’hui l’une des plus jolies conquêtes de notre première scène lyrique, ne s’accrédita parmi nous que lentement.

Après avoir joui pendant quelques mois du succès de la Favorite, Donizetti repartit pour l’Italie. En 1842, il se rendit à Vienne, où il composa la Linda di Chamouni, qui fut accueillie avec enthousiasme par cette population de musiciens, et qui valut au compositeur le titre de maître de chapelle de la cour impériale. Il revint à Paris dans le courant de l’année 1843. A peine était-il descendu de voiture, qu’il se mit à improviser, pour le Théâtre-Italien, l’opéra de Don Pasquale, dont la musique vive et piquante s’écoute avec aussi peu de fatigue qu’il en a fallu pour la concevoir. On prétend que Don Pasquale n’a coûté à Donizetti que huit jours de travail, ce qui lui fit dire plaisamment, en entendant raconter que Rossini en avait mis quinze à écrire le Barbier de Séville ; « Cela ne m’étonne pas, il est si paresseux ! »

On riait encore des bouffonneries du vieux Don Paaquale, que Lablache jouait à ravir, lorsque l’administration de l’Opéra, prise au dépourvu et ne sachant comment traverser la saison d’hiver qui s’approchait à grands pas, s’adressa à Donizetti pour avoir un ouvrage nouveau. Le maestro accepta la proposition avec la désinvolture ordinaire de son caractère, et, dans l’espace de deux mois, il écrivit l’énorme partition de Dom Sébastien. Cet opéra, qui renferme plusieurs morceaux d’un beau caractère, échoua devant le public tant à cause du libretto, qui manquait d’intérêt, que par des accidens de mise en scène et une exécution imparfaite. La composition hâtive de Dom Sébastien, dont on venait arracher à Donizetti les feuilles encore humides, porta un coup funeste à sa santé. En sortant de la répétition générale, il dit à un ami qui l’accompagnait : « Je me sens bien mal ! Dom Sébastien me tue. »

Cependant il fit encore un voyage à Vienne, où l’appelaient ses fonctions de maître de chapelle de la cour. Accueilli dans cette ville avec beaucoup d’empressement par tous ceux qui le connaissaient, et particulièrement par la famille impériale, Donizetti ne tarda pas à donner des signes non équivoques d’aliénation mentale. 11 revint à Paris dans le courant de l’année 1845. Nous eûmes alors la douleur de le rencontrer plusieurs fois dans les rues accompagné d’un domestique, l’œil éteint, le front chargé d’un voile sinistre. On le transporta, vers le mois de janvier 1846, dans une maison de santé à Ivry, où il est resté jusqu’au mois de juin 1847. Entré dans une autre maison de l’avenue Chateaubriand, il en sortit au mois de septembre de la même année, pour retourner dans son pays. En passant par Bruxelles, il y eut une